Coligny
Département: Haute-Savoie, Arrondissement: Saint-Julien-en-Genevois, Canton: Vulbens - 74
Domaine du Temple de Coligny
Il y a plusieurs Cologny dans les environs de Genève. Le nôtre se trouve sur la rive gauche et sud du Rhône, à une vingtaine de kilomètres à vol d'oiseau en aval du Léman, au pied du mont Vuache (1). Il s'étend entre le nant de Couvatannaz prononcez « Couatanne » J'utiliserai d'ailleurs cette graphie pour contre-balancer la dictature du « français » qui tend à éliminer la forme savoyarde des noms) et celui de l'Essert ou de Bataillard.
La carte comporte des erreurs : 1. Villard devrait être sur la rive nord ; 2. Champavex est en fait à l'ouest des Isles ; 3. « Voissai » est en réalité Moissez ; 4. Ban, Moissez et Faramaz ne font pas partie du bailliage de Temier. (AN NN 167/21.)
Carte page 9
Ce hameau dépendait de la paroisse de Bans, mais l'église de celle-ci ayant été emportée au XVIe siècle par le fleuve, Cologny fut rattaché à Vulbens (2).
Ce n'est plus qu'un lieu-dit à l'écart, un peu oublié sur la berge.
Un peu en aval, vers la carrosserie, puis près des étendues gazonnées de Chevrier, il y a un peu de passage. Mais aux alentours de l'ancienne maison templière, tout somnole. Il faut gravir l'escarpement et arriver dans la plaine de Chevrier-Vulbens pour trouver le monde moderne et son activité fébrile.
Pourtant, qui devinerait aujourd'hui que Cologny était jadis un carrefour relativement fréquenté en même temps qu'une frontière surveillée ? Pourquoi cela a-t-il changé ?
Les Templiers et les Hospitaliers
A la fin du XIIe siècle viennent s'installer les Templiers.
En 1196, une transaction est faite entre le prieur de Saint-Victor de Genève et l'Ordre du Temple, représenté par « frère Wilhelme templier au territoire de l'église de Bans (banz), lieu-dit Cologny (Cologniacum), qui vient de construire un oratoire (oratorium) » (14).
Cet oratoire avait été édifié au croisement du chemin Nord/Sud vers le gué avec le chemin Est/Ouest longeant la rive gauche (voir la carte page 9).
Le Temple avait été créé vers 1118. En réalité c'est saint Bernard, en 1128, qui lui donna l'impulsion décisive. L'acte de 1196 se situe vers la fin de la grande période d'affluence des dons au XIIe siècle.
Cette milice de moines-soldats bénéficiait d'importants privilèges lui conférant une grande autonomie (15).
Quant au prieuré clunisien de Saint-Victor de Genève, fort prestigieux, il avait beaucoup de possessions dans la plaine genevoise. Il possédait aussi des droits sur quatorze églises ou filiales. Il choisissait le curé de nombreuses églises. Mais cela ne semble pas avoir apporté de gros revenus.
A Bans, Saint-Victor disposait d'oblations (dons à l'église), dîmes, droits de sépulture et « autres droits de paroisse » (16).
En 1447, il possédait la moitié des dîmes en indivis avec le seigneur du Vuache et le curé. Il détenait aussi des droits seigneuriaux : en 1509, il reçoit la reconnaissance de Collet, fils de Georges, lui-même fils de Jean de Villa de Bans, pour une terre à Moissez ou Matailly (17).
L'acte de 1196 interdisait aux Templiers d'usurper les droits de Saint-Victor. En cas de contestation, le droit de trancher appartenait au prieuré. Celui-ci ne pouvant pas s'opposer à l'installation des Templiers, tout au plus essayait-il de protéger ses maigres revenus contre un nouveau venu qui était une grande puissance internationale. Peut-être craignait-il la création d'une nouvelle paroisse à Cologny ?
En 1277, dans un acte, figure comme témoin « frater Guillelmus preceptor domus de cologniaco » (ou, plus loin : « de colognie ») Lestermes de « domus » et de « preceptor » signifient que l'établissement était important (18). Mais le précepteur ne devait pas y résider en permanence.
Cologny est encore mentionné en 1296. Amédée, comte de Genève, donne à Jeanne de Genève et Philippe de Vienne la seigneurie du Vuache (= de Vulbens). Mais il se réserve « la maison du tample de collognie ensemble les homes et appartenances de ladite maison » Il voulait garder contrôle sur le gué et le bac, car il était en conflit avec la Savoie (19).
Cette réserve explique que, par la suite, l'établissement de Cologny relèvera toujours du mandement de Chaumont, directement tenu par le comte et suzerain de celui du Vuache, au milieu duquel il formait une enclave : « exepte in rebus hospitalis de Colognie que sunt in mandamento Calvi Montis » Le seigneur du Vuache a le droit de justice et d'autres droits seigneuriaux sur les hommes et biens de son mandement, « excepta hominibus et fondis hospitalis de Collongii » (20). Les parcelles dépendant de l'hôpital ne payaient pas la dîme.
Les terres situées immédiatement à l'ouest de la maison sont nommées « aux Franchises » en 1870, « au Francisse », « Francise », « Franchise » en 1730 (21). Le toponyme n'apparaît pourtant pas dans le terrier de 1447. La plus grande partie appartenait aux religieux.
Dans sa réponse à l'enquête archéologique de 1864, l'instituteur de Vulbens écrit : « La pièce de terre attenante aux bâtiments porte encore la dénomination de Franchise parce que les criminels étaient francs, une fois entrés dans cette pièce » (22). L'établissement de La Sarthaz (Passeirier) se nommait « de la Sauveté », ce qui a le même sens (23).
Au XIIe siècle, Saint-Victor aussi offrait l'asile à ceux qui se réfugiaient sur ses terres (24).
Ainsi les religieux disposaient-ils d'une main d'œuvre agricole.
Ceci expliquerait que le village de Cologny soit seulement à 100 mètres de l'établissement religieux.
Hospitaliers
En 1313, l'ordre des Templiers supprimé, ses biens vont à celui de l'Hôpital Saint-Jean de Jérusalem, dit ordre de Malte à partir du XVIe siècle (25). Les biens du Genevois étaient gérés par le Commandeur de Compesières.
Au XIVe siècle, l'établissement est désigné comme la « maison de l'hôpital » ou « l'hôpital » (26). Mais en réalité les Hospitaliers ne soignaient pas les malades à Cologny. Y hébergeait-on les voyageurs ? Aucun document n'y fait allusion.
Dans la deuxième moitié du XIVe siècle, il est question du « Rector de Coloignie » qui est exempté des 30 livres de décime (impôt) qu'il était incapable de payer à l'évêque (27) : signe des ravages faits par la peste ? En 1447, Cologny relève du « précepteur de Genève », sans doute un Hospitalier chargé de la gestion des biens (12).
Aucun document ne montre des Templiers ou Hospitaliers résidant en permanence à Cologny. A partir du XVIe siècle au moins, leurs biens sont affermés. De surcroît, la liste de ceux qui payaient la gabelle (impôt) du sel de 1561 ne fait pas allusion à des religieux.
En 1581, une visite pastorale est faite à « l'hôpital Saint-Jean-Baptiste du lieu de colognie. » La chapelle a encore un recteur et curial, André Jaquelin (28). Par la suite, le fermier devra se débrouiller pour faire assurer un service religieux, sans doute par le curé de Vulbens.
L'existence de cette maison religieuse aurait engendré une tradition locale. L'abbé Descombes écrit ; « d'après une ancienne tradition, Bans fut la patrie de sainte Victoire. Tout près de l'emplacement où s'élève la demeure des Chevaliers de Cologny....
Vivait un homme de condition modeste mais riche des vertus chrétiennes qui s'appelait « Victor au batelier. » Il possédait un petit moulin sur le bord du ruisseau et une barque sur la rive du Rhône »
Il se serait marié dans l'église de Bans et, de cette union, naquit la sainte qui a sa chapelle au sommet du Vuache (29). Ce récit est curieux, car d'habitude on fait naître Victoire au pied du Crêt d'Eau.
En réalité, aucun document ne prouve son existence. C'est une légende. La tradition aurait été « fabriquée » après 1196, peut-être par des notables ayant vécu à Vulbens ou, plus simplement, à la suite d'une confusion (Templiers/Saint-Victor/sainte Victoire).
Les Bâtiments de l'Ordre religieux
On ne doit pas les confondre avec le hameau situé 100 mètres plus loin. Ils ne sont connus que par des textes tardifs des XVIIe et XVIIIe siècles : le cadastre et les visites des supérieurs de l'Ordre (30).
Le Nord est en bas de la carte.
1. Chapelle — 2. Tuilière (ancienne écurie) — 3. Maison d'habitation — 4. Grange et écurie de 1636 — 5. Cour — 6. Hameau — 7. Nant de « Couvatanne » ou Couatannaz 8. Bac — 9. Chemin vers Bans à travers la forêt — 10 Rhône — 11. France.
Rappelons d'abord qu'en 1196 il est seulement question d'un « oratoire », terme imprécis. Au XVIIIe siècle, les documents décrivent une chapelle, une maison d'habitation, des bâtiments d'exploitation, un four et une tuilerie dans une cour close.
La Chapelle
Remplaçant l'ancien « oratoire » templier, la chapelle était placée sous la protection de la Sainte Vierge et de saint Jean-Baptiste, vénérés des Hospitaliers.
On entrait par un petit portail en pierre, couvert de bois, de forme ogivale, donc datant des XVe-XVIe siècles.
Le Clocher
Au-dessus du mur d'entrée se trouvait un clocher à deux niches en forme de « pieds de chèvre », comme dans les chapelles des Hospitaliers à Hauteville et Droise. Dans l'une des niches, une cloche. Ce clocher était en molasse.
Il y a quelques années, on a trouvé dans la cour un corbeau ou modillon aux contours biseautés avec, en son extrémité, une tête (de mort ?) Sculptée (voir la photo ci-contre, en haut). Il fait penser aux culs-de-lampe de l'église de Desingy qui seraient du XVe siècle.
Toutefois, ailleurs, cette façon de décorer les corbeaux existe déjà au XIIe siècle. Servait-il à soutenir un petit toit au-dessus du portail comme dans la chapelle de Mouxy agrandie au XVe siècle ?
A l'intérieur, à droite, il y avait un bénitier en pierre sur son piédestal. La nef était éclairée par deux « larmiers » (fenêtres étroites ?) Et leurs panneaux vitrés. Elle était pavée alors que le chœur avait un plancher. Une « balustrade » était entre les deux.
Sur l'autel, une niche de sapin d'environ 1 mètre 30 sur 45 centimètres contenait « une statue de ladite Vierge tenant sur le bras gauche l'enfant Jésus. » Cette statue, mal peinte, est encore dans la région. Il y avait aussi un saint Jean-Baptiste. Sur le devant de l'autel, étaient peintes des fleurs et la croix de l'Ordre.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il y a en principe neuf messes annuelles assurées par le curé de Vulbens, aux frais du fermier.
L'ancienne Ecurie
Les visites de 1716, 1754 et 1759 mentionnent une ancienne écurie qui se trouvait au nord de la chapelle, contre le mur de celle-ci. On voyait encore son grenier à foin, quelques murs, des poutres et une partie du toit en tuiles rondes.
En 1730, ce bâtiment est indiqué comme tuilerie.
Images
Corbeau ou modillon dans la cour.
Chapiteau dans la cour et machine agricole moderne.
Le Cimetière
Autour de la chapelle il y avait le cimetière. Dans la cour on a trouvé, en fouillant le sol, des pierres tombales et des ossements.
Un texte de 1627 mentionne ce cimetière. Qui y avait-on inhumé ?
Des religieux ? Leurs parents ou des habitants des maisons voisines ?
Le deuxième ensemble était formé par la maison d'habitation, ses caves, granges et écuries.
La Maison
On entrait dans la maison en montant par un escalier. Là on pénétrait dans une cuisine « grande et belle », « spacieuse » ; à droite en entrant, une cheminée « à bande de bois »
Au début du XXe siècle on la décrit ainsi : « De toutes ces salles, la cuisine — au premier — est celle qui offre le plus d'intérêt. Dans sa cheminée monumentale, le four, en parfait état, s'ouvre à hauteur d'appui, au-dessus de l'âtre ; son orifice mesure 40 x 58 centimètres.
Maison actuelle
A droite : grange et écurie de 1636.
A gauche : maison d'habitation.
« Ce foyer à couleur d'ébène (a) sept pieds d'écartement entre les supports du manteau. Le manteau actuel de la cheminée avec son madrier simplement maçonné, est en retrait sur l'extrémité des deux consoles ; il a remplacé un manteau de pierre dont le style concordait avec les faisceaux des triples colonnettes surmontées de leurs chapiteaux.
« Près de la porte, à ras du briquetage de la pièce, une niche taillée dans la pierre ; à sa base, un étroit regard percé horizontalement déverse les eaux grasses à l'extérieur de la maison. »
« Une petite fenêtre à bois biseautée éclaire la cuisine »
Au bout et à droite, soit au nord, une porte permet d'accéder à une grande et longue chambre, dite « le poêle », éclairée par une fenêtre en molasse avec ses volets intérieurs. De là on passait à une chambre plus petite, séparée de la précédente par une cloison en bois.
De la cuisine, un escalier en bois, plus tard remplacé par une simple échelle, montait au galetas.
« Sous l'escalier (extérieur), l'ogive qui donne accès aux caves permet de juger l'énorme dimension des murs et la vétusté des claveaux et des moellons qui forment la voûte témoigne de son antiquité. Des blocs de molasse, quelques-uns longs d'un mètre, ont leurs angles rongés par les siècles et leurs joints sont tellement burinés qu'on croit y découvrir des fissures ; cependant la maçonnerie est compacte »
Au XVIIIe siècle, les caves et le cellier contenaient des coffres « à blé » sans couvercles. En travers, était une poutre de chêne.
On y voyait un bras de forge
Les caves étaient sous la cuisine. Sous les chambres il y avait une écurie non pavée, sans crèche ni râtelier.
La Grange et les Ecuries
A gauche et au nord de la porte de la cuisine étaient la grange et deux autres écuries.
La grange, longue de 16 mètres, large de 5 mètres et haute de 7, séparait deux écuries pavées avec leurs crèches et fenêtres. Un sous-pied permettait d'y battre le blé. Au-dessus on déposait les gerbes de paille. On y accédait par une grande porte à arcade.
Surmontant celle-ci se trouve la croix de Malte à huit points, ayant au centre un écu divisé en quartiers. Le tout est accompagné de la date de 1636. Cette grange a sans doute remplacé celle qui jouxtait au nord la chapelle.
Sur le mur nord de la grange, regardant le fleuve, se trouvait une croix en relief, maintenant remplacée par une peinture sur le crépi.
Le Four et le Puits
Il y avait aussi un four couvert de tuiles et un puits.
A la fin du XVIIIe siècle, tout cela se trouve dans un triste état.
En 1755 il faut faire des travaux à la chapelle et aux bâtiments.
En 1773 le four est réparé
En 1777, une visite et un rapport furent effectués à la demande du diocèse (32). On demanda la suppression de la chapelle, abandonnée et en ruines à cause du paludisme : « depuis plusieurs années régnait une espèce d'intempéries (sic) provenant des marais stagnant que le Rhône forme dans sa partie de France au point qu'il lui (le Commandeur) est très difficile de trouver des fermiers pour habiter sa maison de Cologny, ayant perdu neuf personnes de la même maison et trois du granger actuel (Ah ! Les charmes du bon vieux temps » !).
« Nous avons en outre vu qu'il ne restait plus dans ledit lieu que trois ou quatre maisons dont quelques-unes menacent ruines, ce qui confirme notre idée concernant l'inutilité de la chapelle. » Les visiteurs incriminent « le Rhosne et un torrent (qui) causent des pertes réelles pour son produit » et recommandent de diminuer des dépenses d'entretien.
Le Sénat de Savoie n'autorisa pas cette destruction.
Un mémoire de 1780 précise : « cette chapelle tombe en ruines par défaut d'entretien, les couverts et planchers sont pourris, l'on cherche à vendre la cloche, n'y aiant presque point d'ornements pour célébrer la Sainte Messe sauf un calice qui est entre les mains du curé de Vulbens » (33).
Le Domaine des Religieux (34)
En 1196, n'est cité que l'oratoire. C'est seulement en 1296 que l'on fait allusion aux biens et droits seigneuriaux.
A Cologny même
En 1730, les religieux ont des parcelles en pente, sur le talus, une pièce de bois dans la forêt, deux champs « lanièrés » aux bords du fleuve (défrichements médiévaux ?), Mais surtout de grandes parcelles autour des bâtiments. L'ensemble, dispersé, couvre 28 hectares, soit 16 % de Bans.
Dans le cadastre sarde, les titres de possession fournis par le Commandeur remontent jusqu'en 1550. Le terrier de 1447 cite autour des bâtiments, sans plus de précisions, plusieurs pièces de terre dépendant de l'hôpital.
Carte des terres
A Dingy-en-Vuache
En 1730, les religieux possèdent 10,6 hectares situés entre Bloux et Jurens, à environ 6 kilomètres au sud-est de leur maison de Cologny. Les parcelles sont au nord du chemin allant de Chênex à Dingy. Elles sont très humides, traversées par un petit ruisseau. Les documents les signalent dès 1447
Ces parcelles sont bordées par un lieu-dit couvrant une vaste zone portant le nom significatif de « A Cologny » En 1447, il était alors encore détenu par les religieux. Son parcellaire très découpé, cartographié en 1730, pourrait indiquer qu'il a été loti par les religieux en plusieurs fois.
A l'ouest, se trouvent des toponymes montrant l'existence ancienne de Detits domaines Davsans : « Le Closet » et « La Chavanne. »
Domaine des religieux de Dingy
A Chevrier
En 1730 la Commanderie possède deux parcelles à proximité des chemins descendant vers Cologny. En tout, moins d'un hectare. Vers 1549-1550, elles étaient déjà son bien.
L'une est dite « Aux Quartiers », l'autre est « La Combe du Four. »
C'est d'ailleurs plutôt un replat. L'existence en ce lieu isolé d'un four est impossible. Sans doute est-ce une allusion à une famille Du Four. Plusieurs sont signalées aux XIVe et XVe siècles.
Mais en 1447, les religieux paraissent avoir trois parcelles : « La Charpinaz » (charmille), « Es Cartiers », mais également « En les Loes » (pré humide ?).
La cure de Chevrier avait une parcelle vers « Les Quartiers » : trace d'une origine commune ?
A Vulbens
Les Hospitaliers ont, en 1730, 3 hectares répartis sur 5 parcelles. Ils les avaient déjà en 1550.
Deux de ces parcelles sont au lieu-dit « Aux Moulins. » Or, dès 1328, il y avait un moulin dit « De Petenant », « De Pitinans », « de Pictinens » tenu en commun par les religieux et le seigneur du Vuache. Il était affermé pour dix coupes en 1328 (26).
« Pitinans » signifie peut-être « petit nant. » D'après le terrier de 1447, il semble être vers Faramaz ou Cologny. Il est aussi appelé « de Cepya. » Peut-être était-il vers le ruisseau de Couatanne, là où le seigneur avait un moulin en 1730.
En 1447, les religieux tenaient en commun avec le seigneur du Vuache, un pré dit « A Combes », sans doute au-dessus de Vulbens.
Il paraît avoir été ensuite vendu au seigneur du Vuache. Cette « propriété » en commun était assez courante au XVe siècle.
Les Rentes (35)
En 1741, les religieux mentionnent parmi leurs biens de Cologny une dîme ; elle équivaut au quinzième des récoltes et rapportait deux coupes de froment par an. En 1788 elle n'est pas perçue car le fond est resté inculte.
Les Hospitaliers recevaient également des cens et servis, impôts symboliques sur les terres dépendant d'eux mais cultivées par les paysans. Ces redevances s'étendaient sur 41 poses, soit une dizaine d'hectares. Les plus vieux terriers mentionnés comportent des reconnaissances féodales de 1493. Les seigneurs de Faramaz et du Vuache, ayant acquis des tenures (terres) à Cologny, devenaient, malgré leur noblesse, des censits (dépendants) de la maison de l'hôpital au même titre que de simples paysans.
Les religieux percevaient aussi la taille (impôt) sur les paysans non-libres.
A Dingy, le Commandeur avait des servis antérieurs à 1584 et Portant sur 24 poses ou seytorées soit environ 7 hectares. Il avait droit à un quart des dîmes de Jurens et Bloux, « à la cotte 11 » (le onzième de la récolte).
La rente féodale (cens et servis) relative à Bans-Dingy, Chevrier et Vulbens portait aussi sur d'autres localités : Savigny, Chênex, « La Petite Morraz », Jussy et Vanzy. Au total huit livres.
Les textes signalent aussi, au moins pour les XVIIe et XVIIIe siècles, une rente féodale sur des parcelles essentiellement situées vers le sud du Vuache, à Chavannaz, Cercier, Jonzier, Vers, Viry, Chaumont et Cemex. Elle rapportait très peu : moins de 4 livres, un pain, un quart de froment, quelques jours de corvées, quelques fractions de poules (exemple : les deux-tiers et le quarante-huitième du cent quarante-quatrième d'une !). Cela entraîna pourtant un litige avec le curé de Chaumont....
De l'autre côté du Rhône, les religieux avaient des droits sur des terres à l'Etoumel, les Isles, Pougny, Mussel et Airans. Ils y avaient champs, prés, vignes, jardins, maisons.
Cela leur rapportait quelques pièces de monnaie, du vin, des poules, mais aussi un droit théorique « d'un giste quand le Commandeur viendra à deux chevaux et deux personnes. »
Vers 1542, les reconnaissances sont accaparées par les envahisseurs bernois.
Les religieux avaient aussi, en tant que seigneurs, le droit de commise ou d'échutte : en cas de décès sans enfants ni codiviseurs d'un paysan taillable, ses terres leur revenaient. C'est ce qui arrive en 1712 après le décès de Marie Rosey, femme Bouvard, de Cologny (36).
Trouver l'origine de ces biens, terres ou rentes est difficile. Nous ignorons de qui viennent les biens de Cologny. Un paysan ? Le seigneur de Vulbens ? Par contre il est probable que les parcelles de Vulbens et Chevrier viennent du seigneur du Vuache ou de celui de Faramaz. Les biens de Dingy ont peut-être été donnés par un paysan. Les seigneurs des environs de Vulbens et ceux de la rive droite ont donné des rentes.
Comment ces biens étaient-ils mis en valeur ? L'aspect massif et la taille des parcelles de Cologny indiquent des échanges de terres, fait par les religieux pour avoir des champs plus vastes et plus faciles à travailler.
Les parcelles de Dingy, Chevrier et Vulbens ont probablement toujours été affermées en raison de leur éloignement des bâtiments. Celles de Cologny ont-elles été travaillées par des manouvriers attirés par les franchises, payés à la tâche et dirigés par le précepteur ou recteur ? Ont-elles aussi toujours été affermées ? En tout cas, n'imaginons pas des dizaines de moines au travail. S'il y en a eu, ils ne devaient pas être bien nombreux.
Dès 1578 au moins, tous les biens de la commanderie du Genevois étaient affermés (37).
L'étendue du domaine ne semble avoir vraiment varié qu'une fois, avec le lotissement, à la fin du Moyen Age, d'une partie des terres de Dingy. Les autres modifications ne sont que de détail : vers 1690, les religieux reçoivent une pièce de terre « relachée par Perron Bouzon en payement des censes et servis dûs » (redevances seigneuriales). Ces dettes furent payées un peu plus tard et la parcelle récupérée par son détenteur initial.
Vers 1700, une terre leur revient, à cause d'une échutte : on la revend peu après (38).
En 1569, les religieux albergent (confient) 6 poses de bois situées « Dessus la Maison. » Les bénéficiaires devront verser près de 100 livres d'introge (droit d'entrée), payer annuellement 39 deniers pour le cens et 30 gerbes pour la dîme. Ils n'ont que six ans pour « exerter. »
Les religieux se réservent aussi deux grosses pièces « de bois de chesne », sans doute pour des réparations aux bâtiments. Le but était sans doute de percevoir cette dîme à laquelle ils n'avaient pas droit (37).
Un terrain en vigne au XVIe siècle n'est plus que broussailles au XVIIIe siècle : abandon par des fermiers non motivés par une culture demandant tant de travail.
Au début du XVIIe siècle les bâtiments furent réparés. La chapelle fut mise « presque à neuf » car elle était « auparavant proffanée. »
Le pré de « Jorrant » qui « estoit tout buisson et haye a esté déffriché. » En effet, les pillages bernois et genevois avaient désorganisé la gestion de la Commanderie.
En 1724, les cens et servis étant devenus faibles à cause des divisions successorales, ou difficiles à percevoir, les religieux font rénover les terriers, c'est-à-dire réaliser un nouvel inventaire de ce qui leur est dû (39).
Au XVIIIe siècle, ils cultivent du froment, de l'orge, du millet, de l'épeautre (céréale ancienne), des pesettes (légumineuses), un peu de chanvre. Le fermier fait paître quelques bovins.
En 1581, à Cologny, la chapelle de l'hôpital avait des biens en maison, murs, jardin, pré et bois auxquels il fallait ajouter 26 poses de terres labourées (7,6 hectares) valant en fermage 40 coupes de froment, soit environ 3.170 livres (28).
En 1635, Barfelly écrit que l'hôpital valait, affermé annuellement, 40 coupes de froment (40).
En 1642, la moitié du revenu allant au Commandeur était de 30 coupes plus 6 livres de rente.
Au XVIIIe siècle, le domaine de Cologny même est affermé pour 30 à 35 coupes de céréales (41).
En 1730, le rendement est de 10 ou 11 hectolitres à l'hectare ce qui est aussi bas qu'aux alentours.
Un autre calcul donne 2 à 3 grains récoltés pour un semé, aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Vers 1733-1734, lors de l'établissement du cadastre, le revenu net serait de 622 livres pour les quatre paroisses. En 1754, 530 livres (charges déduites). Cela fait environ le prix de huit bœufs de quatre ans. Ce n'est pas négligeable (42).
Parfois, les biens de Cologny sont affermés avec ceux d'un autre membre de la Commanderie. Dans ce cas, le fermage est uniquement en argent, sans doute parce qu'il y avait un sous-affermage.
Dans les quatre paroisses la « maison de l'hôpital » de Cologny possédait environ 42 hectares. En 1447, le seigneur laïc, lui, n'avait qu'une dizaine d'hectares près de son château de Vulbens (plus deux grandes forêts). L'essentiel de ses revenus venait des tailles et des dîmes.
Par la suite, l'étendue du domaine des religieux n'a pas augmenté. Au contraire. Leur seigneurie a connu un sort opposé à celle du Vuache qui acquiert beaucoup de terrain.
Deuxième différence : les bois, peu rentables, n'occupent qu'une faible partie du domaine des Hospitaliers alors que le seigneur laïc tient d'immenses forêts. Mais pour un chevalier, chasser l'ours, le loup et le sanglier est un entraînement au combat en même temps qu'un passe-temps noble. Carte de Delahaye
Un bac à Traille remplacé par le pont Carnot
En 1787, suivant le mouvement libérateur lancé par les princes sardes, le Commandeur de Compesières affranchit, contre indemnité, les paysans de tous les droits seigneuriaux (48).
Les Français envahissent la Savoie en 1792. Le 9 germinal an III, Cologny, devenu bien national, fut vendu à Bernard Baud de Colonges (44). Les terres de Dingy passèrent en l'an X à plusieurs paysans.
En 1794, le fermier décrit ainsi la chapelle : « une chapelle délabrée de sainte Anne (!), une statue de Notre Dame sur l'autel avec un bénitier en roc et une cloche d'un quintal transportée à Vulbens car la chapelle tombe en ruines. »
Pendant la période française, le bateau est affermé par l'administration. Les Français partis, en 1817 le marquis du Vuache reprend possession de ses droits sur le bac.
Cologny étant depuis 1817 à la limite de la petite zone franche, plusieurs particuliers traversent en fraude le fleuve pour faire du transport ou de la contrebande. Les Douanes surveillent le secteur attentivement, d'autant plus qu'on pouvait aussi venir de Suisse par Chancy, la forêt et là remonter vers Vulbens. La contrebande porte sur le sel, le sucre, le tabac, les bovins, etc.
Source : Philippe Duret. Echos saléviens : revue d'histoire locale. La Salevienne, page 7 à 37. La Salévienne, 1987 — BNF
Notes
1. — Sur cet établissement religieux, j'ai utilisé le travail de : Edmond Ganter, « Compesières au temps des commandeurs », 1971. On y verra une photo de la statue de la Vierge de Cologny.
2. — Sur Bans, voir : Echos Salèviens n° 1, 1987, Ph. Duret.
3. — Napoléon III (sic), Histoire de Jules César, 1865-1866, vol. 2, pp. 44 et ss.
— Genava, 1945, t. XXIII, L. Blondel.
4. — Indicateur d'Antiquités Suisses, 1928, p. 204.
— Ch. Marteaux et M. Leroux, Boutæ vicus gallo-romain, 1913, p. 222.
— Voir « Archéologia », août 1982, le Rhône (....), A Varaschin.
5. — Genava, 1929, t. VII, L. Blondel.
— Notitia Dignitatum.
6. — A.D.H.S. : 1 Mi 9, 2 Mi 73, 1 Mi 2, 1 G 101, etc.
— M. Roblin, le terroir de Paris, Picard, 1951, p. 166.
7. — AD. Ain, Terriers du Pays de Gex, relevés de Peincedé.
— B.P.U. Genève, fond S.HAG., manuscrit Vidart, n° 3 et 15.
— AE.G., manuscrit Galiffe n° 44.
— Galiffe, notices généalogiques sur les familles genevoises, Genève 1884. t. V, p. 23 et ss.
8. — T.G.C. Boissel, « Voyage pittoresque et navigation exécutée sur une partie du Rhône réputée non navigable. », du Pont impr., an III (B.N. estampes, V 9969).
9. — A.D.S., SA 15142. Comptes de 1326 à 1328. Merci à Gérard Panisset, généalogiste professionnel et paléographe, pour avoir déchiffré et traduit, « au pied levé », ce passage.
10. — Archives Burlat-Jolivet à Chevrier.
— Histoire des communes de l'Ain, éd. Horvath, Roanne, 1985, p. 444.
— E. Révérend du Mesnil, Armorial de l'Ain, Lyon, 1872.
— J. Baux, nobiliaire de l'Ain (....), 1864.
11. — AD. Ain, Déclaration des biens des communautés, de Bouchu.
12. — AD.H.S.. SA Inventaire 196 n° 90, f° 7, 102, 199.
— AD.H.S., de Foras, Armoriai, famille de Rossillon, p. 248.
13. — A.D.H.S., 1 G 101 fo 186.
— Chanoine Rebord, « Administration diocésaine, visites pastorales du diocèse de Genève-Annecy, 1411-1920 », t. II, 1923, p. 771.
— Abbé J.P. Condamin, « Saint Ennemond (....), 1876, p. 166.
— A Coville, Recherches sur l'histoire de Lyon, 1928, p. 366.
14. — Mémoires de la S.H. de G., t. 2, p. 51.
— Regeste Genevois (RG), p. 128.
15. — G. Bordonove, La vie quotidienne des Templiers (....), Livre de Poche, 1975.
— Geneva, N.S. 8, 1960. Ed. Ganter, les ordres militaires (....).
16. — RG p. 65.
— Revue Savoisienne, 1867, p. 34.
— C. Santschi, la liquidation du prieuré Saint-Victor, in Recherches sur l'économie ecclésiale (....), Tables rondes d'Annecy, 1990, p. 112.
17. — AD.H.S. SA Inv. 196 n° 90 f° 1156.
— AE.G., Titres et Droits, Ea 12, St Victor, Grosses n° 18 f° 472.
18. — M.D.G., t. XIV, n° 168 p. 155.
19. — A.D.H.S., SA 63, n° 26.
20. — AD.H.S., SA Inventaire 196 n° 90, f° 1158 : terrier du Vuache 1447.
— AD.H.S., comptes de la châtellenie du Vuache, 1er rouleau, 1327-1328, froment.
21. — Arch. Vulbens, cadastre 1870.
— AD.H.S., cadastre 1730.
22. — Enquête archéologique auprès des instituteurs, Bibliothèque de l'Académie Florimontane, Annecy.
23. — A. de Montfalcon, Compesières (.), 1932, p. 30. Document prêté par Claude Mégevand.
24. — RG 269 et MDG t. II, pp 23 et 24.
25. — Genava, N.S. 8, 1960, p. 161 et ss.
26. — A.D.H.S., SA. Comptes de châtellenie du Vuache, 1326-1330.
27. — Mémoires et documents publiés par l'Académie Salésienne, t. 3, 1881, Pouillé.
28. — AD.H.S., 1 G 101. f° 186.
29. — Chanoine H. Descombes et F. Gay, « Histoire admirable de Sainte-Victoire », 1931-1932. Merci à Louise Duparc et à l'abbé Descombes.
— Musée des A.T.P., Paris, Archives A Van Gennep, carton « Savoie Questionnaire II », n° 73-150, n° 130.
30. — AD Rhône, 48 H 1911 f° 16, 18 et 19 ; 48 H 1912 f° 61 ; 48 H 168 fo 70 ; 48 H 143 f° 312.
31. — Ph. Jamin, Flâneries historiques au pays romand, Genève, 1907. pp 208 et ss. Merci encore à Louise Duparc.
32. — AD. Rhône, 48 H 1912.
33. — AD.H.S.. 25 H 1.
34. — AD.H.S. Cadastre sarde et SA Inv. 196 n° 90.
35. — A.D.S., SA 4.
— A.D. Rhône 48 H 1911. 1912. 168.
36. — AE.G. Tabulaire de St Ju., vol. 16 f° 121. Références du T.S.J. communiquées par P. Sautier.
37. — AD. Rhône, 48 H 1913.
38. — idem 48 H 1911.
39. — AE.G. Tab. St Ju., vol. 28, f° 289.
40. — Barfelly, Description du Genevois, 1635. (B.N.).
41. — AE.G. Tab. St Ju., vol. 8 f° 435, n° 11 f° 240 v, 38 f° 357.
42. — AD.H.S. ICc 44, V C 15 et 16.
43. — Archives Gay, à Vulbens. Merci à M. et Mme Droubay.
44. — Arch. Burlat-Jolivet.
45. — AD.H.S., 21 H 152.
46. — AD.S.. SA 1967.
47. — AD.H.S. 1 J 884.
48. — AE.G., Tabulaire St Ju., vol. 131 f° 403.
49. — AD.H.S., 21 FS 4/293.
50. — Pour le bac à traille, voir A.D.H.S. 2 Z 914; AD. Ain S 445 et 1099; archives Gay. — Sur l'inondation de 1883 : V. Gay, Lettre à la Revue Savoisienne, notes sur le Rhône au Vuache, Annecy, imp. F. Abry, 1894.
51. — Lettre du 3/01/1986 de E. Tormos, chef des Etudes Générales à la C.N.R
Source : Philippe Duret. Echos saléviens : revue d'histoire locale. La Salevienne, page 7 à 37. La Salévienne, 1987 — BNF