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Chapitre 1 Prieurés Départements Commanderies

Chapitre I. — Grand-Prieuré de Toulouse.

I. — Prieurés de l'Ordre de Saint-Jean dépendant du Grand-Prieuré de Saint-Gilles, avant l'érection de celui de Toulouse.

Les domaines que les Hospitaliers reçurent dans le principe, furent organisés par eux en commanderies confiées pour un temps plus ou moins long à des religieux de l'Ordre, qui étaient chargés d'en surveiller l'administration et d'en faire passer une partie des revenus an trésor commun. Mais l'éloignement de la Palestine, la difficulté des communications, amenèrent bientôt une modification dans cette organisation primitive. Dès les premières années du XIIe siècle, nous voyons qu'à Saint-Gilles, une des plus anciennes et des plus importantes maisons de l'Ordre sur le continent, résidait un lieutenant du prieur de Jérusalem ; et vers 1113, son autorité, complètement organisée, s'étendait sur tous les domaines de l'Ordre compris entre le Rhône et l'Océan. Le résultat de la création du Prieuré de Saint-Gilles, fut de provoquer immédiatement un développement très considérable de la puissance des Hospitaliers dans nos contrées. Les comtes de Toulouse leur témoignèrent depuis ce moment une faveur qui ne se démentit point dans la suite, exemple qui fut suivi par la plupart de leurs principaux vassaux. Comme preuve de l'immense développement que prit l'Ordre dans la contrée dès son origine, nous publions parmi les pièces justificatives, les extraits d'un vieux cartulaire de ses possessions datant des premières années du XIIe siècle. On y remarque que la plupart des donations consistent en églises dont les noms n'existent plus de nos jours, avec des espaces de terrains plus ou moins considérables pour y construire des villes ou salvetats. Ce cartulaire conservé dans les archives de Saint-Clar, concerne principalement la contrée avoisinante et surtout le pays de Comminges (1).
1. Pièces justificatif n° 1.

Le Grand-prieuré de Saint-Gilles, fut divisé dans le principe en autant de prieurés partiels qu'il comprenait de contrées différentes. C'est ainsi que nous trouvons des prieurs du Carcasses, du Toulousain, du Rouergue, de l'Agenais, du Bordelais, du Quercy, du Périgord, etc., mesure décentralisatrice nécessitée par la difficulté des communications à cette époque. Chacune de ces circonscriptions était partagée en un certain nombre de préceptories (2), dont le nombre allait toujours en croissant, avec celui des villes ou châteaux donnés à l'Ordre et dont l'administration était confiée, comme nous l'avons dit plus haut, à des Hospitaliers ; ces précepteurs étaient, ou des chevaliers revenus de leurs expéditions d'Outremer, ou des chapelains, ou des frères servants. Ces deux dernières classes étaient même les plus nombreuses dans les premiers temps ; car la guerre Sainte réclamait un très grand nombre de bras, et les chevaliers étaient, immédiatement après leur entrée dans la sainte milice, envoyés rejoindre leurs frères de Palestine.
2. Le mot Préceptorie était synonyme de Commanderiez II était même employé plus ordinairement dans le principe et ne disparut qu'au XVIe siècle.

Dans ces temps de foi vive et de vitalité profonde, on dirait que la faiblesse est chose inconnue ; tout y revêt un caractère d'énergie et de virilité qui peut surprendre à juste titre des siècles plus civilisés, mais moins forts. Dans cette foule que le désir de visiter les saints lieux, jetait sans cesse d'Occident en Orient, on pouvait compter un grand nombre de femmes, qui s'armaient elles aussi du bourdon des pèlerins et n'étaient arrêtées dans leur entreprise, ni par les fatigues ni par les périls qui semblaient devoir la leur interdire. Aussi, pendant que se fondait l'hôpital de Saint-Jean, une noble dame romaine du nom d'Agnès, créait dans son voisinage un établissement analogue et soumis au premier, pour servir d'asile aux femmes chrétiennes qui voudraient y chercher un refuge. Cet exemple avait été suivi sur le continent, et la plupart des maisons de l'Ordre comptèrent dans leur sein un certain nombre de sœurs Hospitalières. Elles étaient employées au service des pauvres femmes, et, sous l'autorité du prieur ou du commandeur, formaient une catégorie complètement distincte dans le personnel de l'hôpital. Elles faisaient en général partie de la classe des religieux de l'Ordre, qu'on désignait sous le nom de donats et sœurs données; c'étaient des personnes de l'un ou l'autre sexe, qui, en même temps qu'elles faisaient donation d'une certaine partie de leurs biens, promettaient de ne pas entrer dans un autre Ordre que dans celui de l'hôpital, à qui on accordait d'attendre dans une vie moitié séculière, moitié religieuse, le moment où elles désireraient revêtir le manteau d'Hospitalier et qu'on admettait dans la participation de tous les biens spirituels et temporels de l'Ordre en deçà et au-delà de la mer. Exceptionnellement les donats pouvaient parvenir aux dignités de l'Ordre ; nous voyons même en certaines circonstances figurer à la tête des circonscriptions des sœurs commanderesses, quand leur illustre origine leur donnait une véritable influence dans le pays et que l'Ordre voulait témoigner sa reconnaissance pour les bienfaits qu'il en avait reçus.

Le précepteur était obligé de payer au Trésor de l'Ordre, une rente annuelle dont le taux était fixé proportionnellement aux revenus de sa commanderie, et qu'on désignait sous le nom de responsion; il était de plus chargé d'instruire dans les devoirs de leur profession les religieux nouvellement admis dans l'Ordre ; au-dessous de lui, dans chaque maison un peu importante, nous trouvons d'autres dignitaires, dont les principaux étaient le chapelain et le chambrier.

Les principales questions d'administration étaient réglées dans des chapitres, ou assemblées de précepteurs, tenus tous les ans à époque fixe dans la maison prieurale de Saint-Gilles. Mais les distances trop considérables et la difficulté des communications empêchaient la plupart du temps les précepteurs de se rendre à ces chapitres. Aussi voyons-nous les Grands-Prieurs, occupés sans cesse à se transporter dans les différentes circonscriptions soumises à leur autorité, en faire la visite et convoquer sur divers points des chapitres partiels composés des précepteurs de la contrée.

La seule modification que nous ayons à signaler dans cette organisation jusqu'au XIVe siècle, est la suppression du titre de Prieur dans les provinces du Grand-Prieuré de Saint-Gilles, titre qui fut remplacé par celui de Vice-Prieur donné au précepteur le plus ancien ou le plus considéré dans chaque circonscription.

Devenus plus puissants, les Frères de Saint-Jean, cherchaient à augmenter leurs privilèges dans le domaine spirituel, et à se soustraire plus complètement à la juridiction épiscopale. L'évêque de Toulouse, après avoir essayé vainement de s'opposer à ces empiètements, porta ses plaintes au Saint-Siège. Une bulle d'Alexandre IV, vint ordonner à Féraud de Baras, Grand-Prieur de Saint-Gilles, et aux Frères de la Langue de Provence, de mettre un terme par une transaction, aux discussions qu'ils avaient déjà depuis longtemps, avec Raymond évêque de Toulouse et son chapitre (3). En conséquence, les deux parties remirent la décision de l'affaire à l'arbitrage de Guillaume l'Ecrivain, précepteur de Montpellier et vice-prieur du Toulousain, et de Guillaume d'Ysarny, archiprêtre de Rieux. Dans leur sentence rendue le 4 mai 1254, ces arbitres désignèrent les églises qui devaient être soumises à la juridiction ecclésiastique de l'Ordre ; c'étaient : Sainte-Marie de Puysiuran, Saint-Martin de Pébrens, Gaulège, Saint-Antoine du Pin, Saint-Saturnin de Renneville, Saint-Etienne de Caignac, Saint-Jean de Caprescorjade, Rival, Saint-Remy de Toulouse, Saint-Jean de Garidech, Saint-Bibian, Saint-Thomas, Saint-Boisse de Bersac, Saint-Jean de Lèguevin, Sainte-Foy de Rozelaigue, Saint-Jean de Fronton, Saint-Saturnin de Noye, Saint-Jean de Montaigut, Saint-Pierre de Bousquet, Sainte-Marie de Reyniès, Sainte-Raffinie, Saint-Saturnin de Montpelerin, Saint-Jean de Vaysse, Saint-Pierre de Clermont, Saint-Jean et Saint-Thomas d'Orgueil, Saint-Saturnin de Verlhac, Saint-Jacques de Castel-sarrasin, Sainte-Marie de Lima, Saint-Médard, Saint-Jean de l'Isle ; Mauza, Fajolles, Saint-André de Cortibals, Saint-Léonard du Burgaud, Saint-Michel de Bociac, Sainte-Marie de Onez, Sainte-Marie de Belleserre, Sainte-Anastasie, Saint-Pierre de Pelleporc, Saint-Martin de Poucharamet, Sainte-Marie de Campbernard, Saint-Pierre et Sainte-Barbe près de Castelnau-de-Picampeau, Sainte-Marie de Plagne, Saint-Jean de Fonsorbes, Saint-Jean de Condomol, Serres, Saint-Martin de Marignac, Saint-Pierre et Saint-Jean de Cunans, Saint-Jean de Bolbone, Saint-Vandille-d'Aignes, Saint-Laurent de Gabre, Saint-Sulpice, Saint-Etienne de Caumont (près de Saint-Sulpice) ; Sainte-Marie d'Aderulède (près de Saint-Sulpice).

Les Hospitaliers, possédaient en outre, des portions de la dîme dans les paroisses de Marienville, Sainte-Marie de Cortelles, Sainte-Colombe de Vecinac, Sainte-Boisse (sous Avignonet) ; Sainte-Marie de Venastville, Saint-André de Berelles, Graville, Saint-Julien, Saint-Michel de Lanès, Campferrand, etc. Les arbitres décidèrent que l'évêque ni ses successeurs ne pourraient prétendre à aucun droit canonique sur les paroisses de la première catégorie, conformément aux privilèges de l'Ordre mais que de leur côté, les Hospitaliers devraient renoncer à certaines de leurs prétentions contraires aux règlements ecclésiastiques, tels que l'institution des curés (4).
4. Archives de Toulouse, L X.

Ne terminons pas cet aperçu rapide, sur les Prieurés de l'Ordre de Saint-Jean dans le Midi, sans dire un mot d'une charte concédée par Alphonse de Poitiers comte de Toulouse. C'était au moment où ce prince, accompagné de sa femme la comtesse Jeanne, préparait à Aymargues, près d'Aygues-Mortes, son départ pour la croisade, où ils devaient finir leurs jours; voulant attirer sur leur expédition les bénédictions du ciel, il adressa à son aimé Guillaume de Villaret, Drapier de la maison de Saint-Jean de Jérusalem, et lieutenant du grand-maître dans le prieuré de Saint-Gilles, une charte dans laquelle il confirme les donations octroyées à l'Ordre, ou les acquisitions faites par lui dans le Toulousain, l'Agenais, le Quercy, l'Albigeois, le Rouergue et dans les autres parties du comté de Toulouse, ne se réservant sur ces possessions que l'Encours des biens des hérétiques, le droit de cavalcade, et le ressort c'est-à-dire, le droit de pouvoir recevoir les appels des causes jugés par les tribunaux suprêmes du Prieuré. Le comte avait eu des discussions avec les Hospitaliers au sujet des juridictions de Renneville, de Fronton, de Noyé et de Saint-Sulpice de Lézat. La dernière partie de la charte contient l'abandon que fait le comte de toutes ses prétentions à ce sujet. S'associant à la pieuse libéralité de son noble époux la comtesse Jeanne approuva toutes ses dispositions et son sceau fut appendu à côté de celui du comte. (Juin 1270) (5).
5. Pièces justificatives, n° XXVIII.

2. — Baillies de l'Ordre du Temple, dépendant de la maîtrise de Saint-Gilles, avant la suppression des Templiers.
Comme nous venons de le voir pour les Hospitaliers, les Templiers établirent le centre de leur autorité dans le midi de la France, à Saint-Gilles où ils possédaient une maison et qui leur présentait des avantages sous le rapport des communications avec l'Orient. Du reste leur organisation provinciale semble avoir été calquée sur celle des Hospitaliers. Ils partagèrent leur maîtrise de Provence en un certain nombre de baillies, à la tête desquelles se trouvaient placés les maîtres du Toulousain, de l'Agenais, etc. La même modification que nous venons de signaler pour l'Ordre de l'hôpital, se produisit précisément à la même époque dans celui du Temple : vers 1250, en même temps que les prieurs partiels des provinces de l'hôpital, nous voyons disparaître les maîtres des baillies du Temple, et être remplacés par des lieutenants du maître de Saint-Gilles.

3. — Grand-Prieuré de Toulouse (1315-1790).
Ainsi que nous l'avons fait remarquer plus haut, les deux Ordres du Temple et de l'Hôpital étaient trop semblables, trop également «puissants et trop en présence sur tous les points pour ne pas se nuire réciproquement. Tant que la guerre de Palestine avait duré, tant qu'il y avait eu des pèlerins à protéger et à recueillir, des croisés à seconder dans leur entreprise, tant qu'on avait eu l'espoir maintenant déçu de conserver à la chrétienté le berceau de sa foi, la reconnaissance pour les services rendus par ces chevaliers, avait empêché de mettre en question leur utilité. On voyait les deux milices se partager les postes les plus dangereux et lutter ensemble à qui s'exposerait d'avantage, à qui répandrait le plus de sang pour le service de la foi ; on ne s'était pas demandé si une seule n'aurait pas suffi à la tâche. Mais les guerres saintes prirent fin ; l'Europe avait dépensé un enthousiasme et une énergie incroyables dans ces expéditions immenses qu'elle avait jetées successivement depuis près de deux siècles en Orient; elle avait déjà beaucoup perdu de sa foi et paraissait se résigner à la perte de ses illusions sur la conquête de Jérusalem. Dès lors on sentit que pour contenir les Musulmans dans l'Orient, dont on renonçait à leur disputer désormais la possession, un seul des deux Ordres était bien suffisant; il devait arriver infailliblement que l'un d'entre eux fût absorbé par l'autre.

On a accusé les chevaliers de Saint-Jean, d'avoir intrigué pour obtenir la perte de leurs rivaux dont ils auraient convoité les dépouilles. Mais il me semble que beaucoup d'autres causes indépendantes de toute participation de leur part, devaient amener ce résultat et qu'il est complètement inutile, pour l'expliquer, de faire peser sur cet Ordre une accusation contre laquelle vient protester le noble caractère du grand-maître qui était alors à sa tête (6).
6. Foulques de Villaret avait même combattu dans un mémoire envoyé au Pape le projet de réunion des deux Ordres, réunion qu'il savait devoir se faire en sa faveur (Vertot, livre IV)

Après avoir vaillamment arrosé de leur sang le champ de bataille de la Mansourah, les Templiers avaient considéré leur mission comme terminée en Orient. Laissant à peine quelques garnisons au-delà des mers, ils s'étaient retirés sur le continent, où, derrière les murailles de leurs nombreuses citadelles ils jouissaient des immenses richesses accumulées dans leurs trésors. Cette molle oisiveté, succédant brusquement à leur vie de luttes héroïques, avait fait dégénérer l'Ordre de sa pureté primitive. « Soldats délaissés, sentinelles perdues ; s'écrie Michelet, faut-il s'étonner si, au soir de cette bataille de deux siècles, les bras leur tombèrent. La chute est grave après les grands efforts. L'âme, montée si haut dans l'héroïsme et la sainteté, tombe bien lourde en terre... Malade et aigrie, elle se plonge dans le mal avec une faim sauvage, comme pour se venger d'avoir cru (7). » Quoiqu'il en soit le peuple était naturellement conduit à comparer ces chevaliers arrogants, qui faisaient servir à leur ambition ou à leurs jouissances les donations pieuses des fidèles et dont l'existence restait enveloppée d'un sombre mystère, aux Hospitaliers, à qui ils avaient abandonné presque entièrement le poids de la guerre contre les infidèles et que leurs luttes incessantes protégeaient contre les défaillances des Templiers. D'ailleurs soumis à l'autorité absolue de leur grand-maître et ne reconnaissant d'autre pouvoir temporel que le sien, ces derniers formaient en France, où avait été transporté le siège de l'Ordre, une puissance assez considérable pour inspirer de l'ombrage à la royauté.
Nous ne nous arrêterons pas sur cette sombre tragédie qui ne rentre pas dans le cadre de cette étude toute spéciale et dont les lugubres épisodes sont dans toutes les mémoires. Un grand nombre de Templiers échappèrent à l'immense holocauste de tout leur Ordre ; ils furent, quand le calme se fut rétabli, repartis dans différents monastères. « Nous trouvons en effet dans les archives, une bulle que le pape Jean XXII, adressa d'Avignon le 16e jour des calendes de janvier de la 3e année de son pontificat (15 décembre 1318) aux évêques de France, pour les avertir qu'un certain nombre de Frères de l'Ordre supprimé du Temple, avaient repris les vêtements laïques et que quelques-uns, se plongeant dans les voluptés du monde, avaient pris des femmes avec lesquelles ils vivaient publiquement » et pour leur ordonner d'employer contre eux, s'ils ne se soumettaient pas au premier avertissement, la censure ecclésiastique, de supprimer la pension qu'on leur fournissait pour leur entretien et enfin de les faire entrer, soit comme frères, soit comme pénitents dans différents monastères (8).
7. Histoire de France, livre V, chapitre III.
8. Archives de Toulouse. Bulles.


L'âpreté avec laquelle le roi, Philippe-le-Bel s'empara tout d'abord de l'argent contenu dans les trésors du Temple et le triste état de ses finances ont fait douter à beaucoup que, dans cette affaire, l'amour de la justice, la haine du crime et le zèle de la religion eussent été les seuls mobiles qui l'eussent déchaîné d'une manière si impitoyable contre un Ordre, que la veille encore il couvrait de sa plus éclatante protection. En 1310, nous le voyons dépêcher d'Avignon son chambellan, Enguerrand de Marigny, qui se rendit à Carcassonne, pour se faire remettre tout l'argent des trésors des maisons du Temple dans le midi et revint vers son maître avec cette riche proie (9). Mais ce n'étaient pas de simples revenus, c'étaient les domaines des Templiers qui faisaient l'objet de ses convoitises et il les avait fait mettre tout d'abord sous le séquestre royal. Aussi ce fut avec un désappointement, qu'il ne chercha pas à dissimuler, qu'il vit le concile de Vienne adjuger cette riche dépouille à l'Ordre de Saint-Jean. Ce ne fut qu'après bien des tergiversations et des pourparlers que les Hospitaliers purent en obtenir la remise par les employés royaux ; encore furent-ils obligés pour cela de verser au trésor de la couronne de fortes sommes, sous le prétexte de l'indemniser des frais du long procès des Templiers. Ce ne fut guère, qu'en 1330, que la question fut définitivement conclue, et que l'ordre de Saint-Jean put jouir sans conteste des biens immenses qui venaient de lui être adjugés.
9. Dom Vaissette, livre XXIX.

Cet accroissement de possessions dût forcément amener une division dans les circonscriptions de l'Ordre de Saint-Jean. Le Grand prieuré de Saint-Gilles, trop considérable désormais pour être confié à une seule administration fut divisé en deux parties ; la partie occidentale en fut détachée pour former le Grand prieuré de Toulouse (1315). Cette nouvelle circonscription comprenait les domaines de l'Ordre situés dans le haut Languedoc, la Guyenne, la Gascogne, la Bigorre, la Biscaye, le comté de Foix ; tandis que la Provence, le bas Languedoc, l'Albigeois, le Rouergue, le Quercy continuaient à faire partie du Grand-Prieuré de Saint-Gilles (10).
10. La bulle d'érection du Grand-Prieuré de Toulouse n'existe pas dans ses archives.

Le premier Grand-Prieur de Toulouse fut Pierre de l'Ongle, chancelier de l'Ordre, un des membres les plus distingués et les plus dévoués de son conseil. Pendant toute la durée de sa charge, il eut à lutter de tous côtés pour faire rentrer dans le domaine de l'Ordre les biens des Templiers. Les administrateurs séculiers, à qui ils avaient été confiés pendant la durée du séquestre, n'oubliaient rien pour convertir en propriétés définitives les biens dont ils n'étaient que les fermiers temporaires. Forcé par les plaintes du Grand-Prieur de Toulouse et du Grand-Maître, Elyon de Villeneuve, de mettre un terme à des abus, qu'il tolérait sans peine en faveur de ses courtisans, détenteurs des principaux fiefs en question, Charles IV accorda le 31 mai 1324 des lettres patentes, ordonnant la remise de toutes ces possessions, notamment de la maison de Toulouse avec ses dépendances, régie par Raymond de Soubiran et celle de Vahours qui l'était par Bertrand de Roquenégade, chevalier (11).
11. Archives de Toulouse, L. I.

Outre ces difficultés, les Hospitaliers en rencontrèrent bien d'autres, avant de jouir paisiblement de l'héritage qu'on venait de leur attribuer. Le procès des Templiers et son dénouement avaient excité bien des convoitises, tous ces seigneurs laïques ou même ecclésiastiques, qui avaient assisté au partage de la riche dépouille, étaient mis en goût. Ils trouvaient que la ruine d'un Ordre puissant était chose profitable, et n'auraient pas mieux demandé que d'étendre une opération qui avait paru si fructueuse. C'est ce qui peut expliquer le déchaînement de haines et de jalousies qui eut lieu à cette époque contre l'Ordre de Saint-Jean et qui se traduisit par des agressions de toute nature. Le pape Jean XXII, à la requête du grand-maître, s'empressa de porter secours aux Hospitaliers par une bulle datée du 27 septembre 1316 : « Ayant appris, dit-il, que quelques archevêques, évêques, clercs, personnes ecclésiastiques, tant régulières que séculières, ainsi que des marquis, des ducs, des comtes, des barons, des nobles, des chevaliers et des universités de cités, de villes, de villages et autres laïques, ont fait occuper les possessions, terres et droits des Hospitaliers, tuer les vassaux, les hommes et les personnes de cet hôpital ou les emmener prisonniers, » le Souverain Pontife délégua l'évêque d'Agen, l'abbé de Moissac, et le Prévôt du chapitre de Nîmes, pour protéger en son nom les chevaliers de la Langue de Provence et leur faire restituer ce qu'on leur avait enlevé; il enjoint, en terminant, à ses commissaires d'employer contre les récalcitrants l'excommunication et s'il était nécessaire, le recours au bras séculier (12).
12. Archives, Bulles

Nous venons de voir que la succession des Templiers avait été chèrement achetée par l'Ordre de Saint-Jean, si chèrement môme que son trésor s'en trouvait pour le moment complètement épuisé. Et pourtant il approchait alors d'une crise, qui allait nécessiter l'exercice de toutes ses forces vives. L'invasion musulmane, arrêtée et réprimée quelque temps par l'effort des croisades, allait recommencer son mouvement formidable. L'Europe, déchirée en tous sens par des guerres incessantes, était hors d'état de prêter une oreille bien attentive au bruit de ce flot lointain, qui menaçait d'engloutir à la fois la chrétienté et la civilisation. C'est alors que commença le rôle héroïque et vraiment admirable des chevaliers de Saint-Jean. Jusqu'ici leur dévouement s'est trouvé perdu au milieu de tant d'autres, qu'il a pu passer inaperçu. Mais maintenant, seuls sur leur rocher, ces enfants perdus de l'Europe ne se laissent pas effrayer par la grandeur de la tâche. Constamment en lutte avec les forces écrasantes d'une puissante nation, ils ne cèdent qu'à la dernière extrémité. Chassés de leur poste avancé, ils ne se découragent pas et vont reformer en arrière leurs rangs éclaircis, mais sans cesse reconstitués, et soutiennent, pendant toute la durée du moyen-âge, une lutte héroïque, qui sauve le monde civilisé do la barbarie hurlant à ses portes.

A la vue de la pénurie du Trésor, le grand-maître de Villeneuve s'adressa à ses chevaliers pour augmenter les responsions sur tous les biens de l'Ordre et au Pape, qui lui accorda l'autorisation d'aliéner une portion de ces domaines pour la somme de 193,000 florins d'or. Voyant la difficulté d'exécuter immédiatement ces mesures et la détresse de l'Ordre, Pierre de l'Ongle, Grand-Prieur de Toulouse, Emmery de Thurey, Grand-Prieur de Saint-Gilles, et Odon de Montaigut, Grand-Prieur d'Auvergne, offrirent généreusement en 1318 les revenus entiers de leurs Prieurés pendant 2 ans, ce qui permit au Grand-Maître de pourvoir aux dépenses les plus urgentes (13).
13. Naberat, Histoire des Grands-Maîtres de l'Ordre, livre III, chapitre III.

Ce fut peu de temps après que ce môme Grand-Maître vint visiter le Prieuré de Toulouse et tint à son retour un Chapitre général à Montpellier (1330). Il y modifia divers statuts de l'Ordre au sujet de la discipline intérieure des couvents, et réforma un grand nombre d'abus qui s'étaient introduits chez les chevaliers de Saint-Jean. Un registre en langue romane conservé aux archives du Prieuré contient ces diverses ordonnances ; il commence par ces mots : « In nomine Domini. Amen. — Aïsso les establimens fayt et ordenat al Capitol de Montpellier per l'honorable Religios Helio de Vilanova e per lo cosselh delos prodes homes de la mayso. En Van de la Incarnacion de Nostre Senhor XIII cent et XXX, à XXIV jors del mes de otobre » (14).
14. Archives, du Prieuré, Registres.

Le Grand-Maître profita aussi de la tenue du Chapitre général pour y organiser les circonscriptions et les commanderies du nouveau Grand-Prieuré. La commanderie de Puysubran fut déclarée Chambre magistrale ; c'est-à-dire qu'elle appartenait au Grand-Maître, qui la faisait administrer par un procureur. Le Grand-Prieur n'eut dans son apanage primitif que la commanderie de Toulouse à laquelle on avait adjoint plusieurs dépendances du Temple de cette ville, et qui forma ainsi la première Chambre Prieurale. Dans la suite, on modifia cet ordre de choses en augmentant le nombre des Chambres Prieurales ainsi que nous le verrons dans le courant de cette étude.

Pour récompenser les services rendus par un homme qu'il aimait et estimait, Elion de Villeneuve avait nommé Pierre de l'Ongle au Grand-Prieuré de Saint-Gilles, vacant par la mort d'Emmery de Thurcy, de sorte que cette immense étendue de possessions se trouva de nouveau réunie dans les mains du Chancelier. Après la mort de Pierre de l'Ongle, arrivée en 1334, le Pape écrivit au Grand-Maître pour l'engager à ne plus réunir les deux Prieurés sous la môme main, de peur des inconvénients qui avaient motivé leur séparation (15).
15. Naberat, Histoire des Grands-Maîtres.

Ce ne fut que sous le successeur de Pierre de l'Ongle que fut complètement terminée l'affaire des biens des Templiers, car nous voyons le Grand-Prieur, Aycard de Miramont, déléguer le précepteur de la maison de Toulouse pour aller prendre possession de quelques fiefs du Temple détenus encore par les officiers royaux (1339) (16).
16. Bosio, Dell'istoria della Sacra Religio.

Signalons, parmi les chevaliers qui gouvernèrent le Grand-Prieuré de Toulouse, Raymond de Lescure, qui joua un rôle important dans l'histoire de son Ordre. Doué d'une grande prudence et d'une bravoure à toute épreuve, il fut employé par le Grand-Maître dans plusieurs missions diplomatiques et se signala par de brillants faits d'armes. Ses services lui valurent les dignités de Grand-Commandeur, Grand-Prieur de Toulouse, lieutenant du Grand-Maître et administrateur du trésor de l'Ordre. Il signala son administration dans le Prieuré par les soins qu'il prit de faire élever ou réparer et agrandir les fortifications d'un grand nombre des villes soumises à son autorité. Se conformant à l'esprit de son Ordre, ce fut lui qui demanda et obtint, comme nous le verrons ailleurs, l'érection de l'ancien Temple de Toulouse en un hôpital destiné aux pauvres pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle. Quelques années après, Raymond de Lescure terminait glorieusement sa carrière dans une expédition qu'il commandait contre la garnison turque de Macri (1411) (17).
17. Archives Toulouse, L. VIII et L XL.

Son successeur, Bertrand d'Arpajon, qui, malgré les prescriptions précédentes, réunit les deux Prieurés de Toulouse et de Saint-Gilles, s'occupa activement de faire respecter les anciens privilèges de l'Ordre. A sa requête, le nouveau Parlement de Toulouse rendit un arrêt qui déclara les Hospitaliers exempts de tous droits de péage, de leude et autres impositions, tant dans les villes que dans les ports de rivières ou de mer (13 mai 1429) (17).
17. Archives de Toulouse, L, XL.

Le 29 mai 1453, un évènement formidable vint jeter le trouble et la stupeur parmi les nations européennes. Les Turcs, s'élançant des côtes de l'Asie, venaient de planter le croissant sur les murs de Constantinople. Désormais l'ennemi de la chrétienté avait pris pied sur son territoire et de sa nouvelle position il était une perpétuelle menace pour sa sécurité. Il semblait, du reste, qu'elle fût une proie bien facile à saisir dans l'état de déchirement où nous venons de la voir plongée. Parmi tous ses états ébranlés sur leurs bases, pas un ne pouvait se lever pour la défense de tous et offrir une barrière sérieuse à l'Islamisme vainqueur. Dans cette détresse universelle, tous les regards se tournèrent vers cette petite île, poste perdu au milieu des mers, où une poignée de chevaliers de toutes les nations, oubliant leurs querelles particulières pour ne plus songer qu'à la défense de la chrétienté, attendait bravement le flot terrible de l'invasion musulmane. Pour lui procurer les moyens de repousser l'ennemi, les Papes ne cessent à cette époque de prodiguer à l'Ordre de Saint-Jean les témoignages de leur faveur. C'est ainsi qu'Eugène IV, pour faciliter la rentrée des responsions dans le trésor de l'Ordre, charge les évêques de surveiller par eux-mêmes cette opération (1440), que Sixte IV accorda aux Français toutes les indulgences qu'on gagne à Rome l'année sainte, à la condition de donner à l'Ordre le quart des sommes qu'ils auraient dépensé pour faire ce pèlerinage (18).
18. Archives de Toulouse, Bulles.

Charles VII, qui venait de reconquérir la plus grande partie de son royaume, voulut lui aussi, malgré l'épuisement de ses finances, contribuer à une œuvre dont il comprenait l'intérêt véritablement européen. Par ses lettres patentes du 1er avril 1445, il exempta les biens de l'Ordre de la taxe consentie à Bourges en 1440 par l'Assemblée générale du clergé sur toutes les possessions ecclésiastiques.
— « Il fait cette concession, est-il dit dans l'acte, en considération les grandes pertes et dommatges que nos bien aimés les Religieux de l'Ordre de Saint-Jehan, fondé en nostre Royaulme ont eu et soustenu à l'occasion des guerres et divisions d'icelluy nostre Royaulme, à l'occasion desquelles leurs rentes, revenus et possessions sont moult diminués et amoyndris et aussy leurs esglises, hospitaulx, maysons et métairies, tournées en grandes ruynes et désolation... » Mais la véritable raison était le danger qui menaçait Rhodes dans ce temps-là plutôt que les désastres de la guerre qui avaient frappé les autres biens du clergé de France tout aussi bien que ceux de Saint-Jean (19).
19. Archives de Toulouse, L, X.

Au nombre des privilèges les plus précieux des religieux de Saint-Jean était le droit de n'être justiciables que des tribunaux de leur Ordre; faveur qui leur avait été concédée dans l'origine et confirmée plusieurs fois dans la suite, qu'ils conservaient avec un soin jaloux, mais qu'ils étaient souvent obligés de défendre contre les empiètements de la magistrature du royaume. Nous trouvons dans les archives de cette époque plusieurs témoignages de ces luttes. Ainsi en 1430, Durand du Faur, chevalier, viguier de Narbonne, Pierre d'Yssault, juge de cette même ville, Jean Spondelherii, bailli d'Ouveilhan, et Raymond Valentin, notaire et officier du roi, firent saisir frère Jean de Raymond, précepteur de Peyrusse (commanderie située dans leur juridiction et dépendant à cette époque du Prieuré de Toulouse), qui était accuse de certains crimes, et le firent enfermer dans la prison du roi; requis par l'Ordre d'avoir à le remettre à son tribunal, ils s'y refusèrent, s'empressèrent d'instruire son procès, et, après sa condamnation, de le faire suspendre à un gibet. Pierre de Rota, doyen de Saint-Agricole à Avignon, chargé par le pape de veiller aux intérêts de l'Ordre dans toute l'étendue de la Langue de Provence, enjoignit à ces officiers, sous peine d'excommunication et en requérant même au besoin le concours du bras séculier, d'enlever de leurs propres mains le corps du frère de Raymond du gibet, où il était resté attaché, de le faire ensevelir décemment et avec honneur et de faire satisfaction à l'Ordre pour cette offense. Le viguier et ses assesseurs, ayant refusé d'obtempérer à cet ordre furent frappés d'interdit par P. de Rota ; ils en appelèrent au pape Martin V, qui évoqua l'affaire à son tribunal. Malheureusement les archives ne contiennent pas la sentence ; mais il est à supposer que la Cour de Rome dut saisir avec empressement cette occasion de proclamer les immunités ecclésiastiques, si contestées à cette époque, et sanctionner les foudres de son délégué contre les juges récalcitrants (20). Quelques années plus tard, le Grand-Prieur Pons de Malevielle vit se renouveler ce débat sous une forme analogue et parvint à faire respecter ses privilèges. Il s'agissait d'un religieux, R. Gétule, qui, s'étant rendu coupable de quelques excès et violences à Fontenille en Périgord avait été traduit devant le Parlement de Bordeaux. Le Grand-Prieur réclama énergiquement contre la compétence de ce tribunal et obtint en effet la remise de l'accusé dans les prisons de l'Ordre ; après quoi, cet accusé s'étant évadé et refusant de comparaître devant le chapitre provincial pour y être jugé, Pons de Malevielle ordonna à tous les frères de l'Ordre de s'emparer de la personne du fugitif, partout où ils le rencontreraient (21).
20. Archives de Toulouse, Bulles.
21. Archives, Toulouse, Registres.


L'administration du fisc faisait aussi des tentatives souvent renouvelées pour prélever des impositions sur les possessions de l'Ordre, malgré les privilèges concédés ; et ce ne fut que grâce à la vigilance et à l'énergie des divers Grands-Prieurs, que les droits de l'Hôpital ne furent pas entamés. L'un d'entre eux, François Flotte, obtint du roi François Ier la confirmation des privilèges de l'Ordre par lettres patentes du 5 janvier 1518 (22).
22. Archives, Toulouse, L X.

Du reste toutes les ressources de l'Ordre de Saint-Jean allaient lui devenir indispensables. Après s'être relevés de leur premier échec contre Rhodes, les Turcs aspiraient à prendre leur revanche et à laver leur honte dans le sang de ces chevaliers. A la nouvelle de l'armement formidable qui se préparait, le Grand-Maître, Philippe de Villiers de l'Isle-Adam, appela tous ses chevaliers au poste d'honneur et de péril et on y vit accourir aussitôt tous ceux qui étaient en état de porter les armes. Nous n'avons pas à faire ici l'historique de ce siège mémorable, après lequel le Grand-Maître suivi des quelques survivants de cette lutte héroïque n'abandonna à l'ennemi qu'un monceau de décombres arrosés de sang. Nous dirons seulement que parmi les chevaliers dont les noms sont inscrits à cette belle page de l'histoire brille au premier rang le Grand-Prieur de Toulouse, Gabriel de Murat de Lestang-Pomeyrol, grand commandeur, lieutenant du Grand-Maître; on le distinguait toujours, soit dans le conseil, soit dans le combat; il pérît d'une chute dans une tranchée, le 4 septembre 1522.

Son successeur fut frère Désiré de Tholon de Saint-Jal, bailli de Manosque, qui s'était grandement distingué comme chef de l'artillerie pendant le siège. Il gouverna le Grand-Prieuré de Toulouse jusqu'à sa nomination à la Grande-Maîtrise, qui eut lieu le 1er novembre 1535. Il était à Toulouse quand il reçut la nouvelle de son élection ; il se mit en route pour se rendre à Malte, tomba malade à Montpellier et y mourut le 26 septembre 1536 (24).
24. Vertot, livre X.

Si le courage des chevaliers avait été admirable pendant cette terrible période, il n'en est pas moins vrai que la discipline s'était relâchée de sa sévérité primitive. L'esprit d'indépendance s'était propagé parmi ces religieux que nous venons de voir si prodigues de leur sang et de leur dévouement, de nombreux abus s'étaient glissés, principalement parmi les Hospitaliers de la Langue de Provence, si nous en pouvons juger d'après une huile adressée le 23 décembre 1526 à l'official de Saint-Etienne par le pape Clément VII, à la requête du Grand-Maître de l'Isle-Adam. Ce dernier s'était plaint de ce que, contrairement aux statuts qui défendaient aux frères et aux précepteurs de voyager sans la permission de leur supérieur, plusieurs Hospitaliers des prieurés de Saint-Gilles et de Toulouse, portant l'habit de l'ordre et jouissant de ses privilèges, « ne craignaient pas d'enfreindre cette prescription et de mener une vie fort éloignée de la religion, refusant d'obéir aux juges délégués par le Saint-Siège... » Le Pape, considérant que là où la discipline est méprisée, la religion est exposée au naufrage, ordonna d'employer l'excommunication contre les délinquants, chevaliers, chapelains, ou servants d'armes, quelque fut leur rang, fussent-ils même pourvus de bénéfices ecclésiastiques (25).
25. Archives, Toulouse, Bulles.

Diverses modifications dans les commanderies du Prieuré, opérées à cette époque, de nombreux membres détachés des circonscriptions existantes pour être affermés séparément et augmenter ainsi les revenus de l'ordre, témoignent du zèle des grands-prieurs et de la pénurie du trésor, alors épuisé par les dépenses du siège de Rhodes et un peu plus, tard par celles de la prise de possession de Malte et de la mise en état de défense de cette île, jusque-là complètement ouverte à toutes les attaques des ennemis. La nécessité de ces fortifications ne tarda pas à se faire sentir, car, en 1565, les Turcs vinrent mettre le siège devant le nouvel établissement des Hospitaliers. Grâce à la valeur du Grand-Maître de la Valette et de ses chevaliers, les infidèles furent forcés, après un siège long et meurtrier, de regagner leurs vaisseaux.

Ce fut du reste le dernier choc que les chevaliers eurent à supporter de l'invasion musulmane. Réduit à une décrépitude hâtive par ses mœurs, son gouvernement et sa religion, l'Empire turc vit de jour en jour sa vitalité et ses forces s'évanouir et ne tarda pas à cesser d'être un épouvantail pour le reste de l'Europe. Dès lors le rôle de l'Ordre de Saint-Jean va se réduire beaucoup ; son action se bornera désormais à capturer quelques navires turcs et à faire la chasse aux corsaires de la Méditerranée. Avec le sentiment de la haute mission qu'il avait à remplir, il n'est pas longtemps avant de perdre son ancien esprit. Pleins comme leurs devanciers d'une bravoure qui ne cherchait qu'une occasion pour se démontrer, les chevaliers ne trouvaient pas dans les luttes désormais insignifiantes de l'Ordre de quoi satisfaire leur activité. Après avoir passé quelques années de leur jeunesse à faire des courses sur les vaisseaux de la Religion, ils retournaient sur le continent pour jouir des revenus de leurs commanderies et n'avaient plus de rapports avec l'Ordre que pour obtenir de nouvelles faveurs. C'est alors que l'on vit les souverains de la chrétienté s'immiscer dans le gouvernement de Malte et faire distribuer les grandes dignités de l'Ordre à leurs courtisans ou aux membres de leurs familles.

Du reste, Futilité de cette institution ayant ainsi diminué, on ne tarda pas à vouloir lui retirer une partie de ses privilèges concédés précédemment. Mais la noblesse était toute entière trop intéressée à la conservation d'un Ordre qui n'ouvrait ses portes que pour elle, pour ne pas prendre énergiquement sa défense. Elle préférait pour ses fils le manteau à la croix rouge de chevalier de Malte, fort peu gênant du reste à cette époque, à la robe de bure de moine. Les considérations, les honneurs et les riches commanderies attendaient le pauvre cadet de famille dont le plus clair du patrimoine consistait en parchemins suffisants pour lui donner entrée dans la milice de Saint-Jean. Aussi dans le cahier présenté par les députés de la noblesse du Languedoc aux Etats généraux de 1614, pouvons-nous lire une supplique très-pressante à ce sujet avec l'exposé naïf de leurs motifs : « Votre Majesté est aussi très-humblement suppliée de vouloir bien maintenir et conserver ceux de l'Ordre et Religion de Saint-Jean de Jérusalem en la jouissance de leurs biens et privilèges et faire lever et cesser tous les troubles et empêchements qui leur sont donnés au préjudice de leurs dits privilèges, successivement confirmés par les Rois vos prédécesseurs et même par Votre Majesté, tant pour les grands et signalés services qu'ils rendent à la République chrétienne, comme aussi par la décharge d'une infinité de maisons nobles de votre royaume, qui se trouvent grandement décorées et relevées par les grandes et belles charges, à quoi la piété et la vaillance font arriver journellement leurs enfants et avec un grand avantage sur tontes les autres nations (26). »
26. Dom Vaissette, Pr. CLXIV, tome V.

Cette requête fut couronnée de succès puisque nous trouvons les privilèges de l'Ordre confirmés par Louis XIII, en 1621 et plus tard par Louis XIV en 1651 (27).
27. Archives, Toulouse, L. X.

A cette époque le Grand-prieuré de Toulouse était passé par une crise très agitée. La terrible période des guerres religieuses, si désastreuse pour toute la France, l'avait été surtout pour nos provinces du Midi, où les protestants avaient leurs principaux centres. Naturellement les chevaliers de Saint-Jean étaient les champions les plus dévoués delà grande cause catholique et les places fortes de l'Ordre jouèrent un rôle important dans cette période tourmentée. A la tête du Grand-prieuré, nous trouvons un homme qui s'est conquis une place dans l'histoire. C'est Antoine-Scipion de Joyeuse, dont la famille était à la tête du parti catholique et qui avait lui-même inspiré la terreur aux huguenots du Languedoc. Après la mort de son frère aîné Anne duc de Joyeuse, à Coutras, pour empêcher l'extinction d'une race illustre et chère à l'Eglise, le pape Sixte V le délia de ses engagements dans l'ordre de Malte, et le rendit à la vie séculière et au commandement des armées catholiques du Midi.

La Ligue rencontrait de vives sympathies parmi les Hospitaliers. Nous en donnerons comme preuve le passage suivant que nous traduisons dans la relation latine de la mort du président Duranti (1589), publiée par un témoin oculaire et citée par Dom Vaissette. « Ayant résolu de le faire périr misérablement dans un bref délai et ne pouvant accomplir assez commodément leur dessein chez les Dominicains, ils résolurent de le conduire dans la grande tour (immanem turrim) de Saint-Jean, appartenant aux chevaliers de Malte, pour le soumettre à une garde plus sévère et plus sûre..., ils disaient pour prétexte qu'il vivait trop librement chez les Jacobins, qui, touchés par le malheur de ce grand homme, le visitaient plus fréquemment qu'il ne convient à des geôliers (28). »
28. Dom Vaissette, Pr. CXLI, tome V.

On comprend sans peine avec quel acharnement les Huguenots tâchaient de nuire aux chevaliers de Saint-Jean el dévastaient leurs possessions, quand les circonstances le leur permettaient. Aussi la désolation était-elle générale dans les domaines de l'Ordre, surtout quand dans le voisinage s'élevait quelque place protestante. Les villages étaient brûlés les moissons saccagées, les habitants massacrés. C'est ce lugubre tableau que vient dérouler devant nos yeux messire André de Puylobrier, chevalier de Saint-Jean, Commandeur de Condat et receveur de l'Ordre au Grand-Prieuré de Toulouse, dans les réclamations qu'il adresse à Jean de la Valette Cornusson, sénéchal de Toulouse, le 14 mars 1588. — L'Assemblée générale du clergé de France avait voté dans sa séance du 3 juin 1586 un subside de 1 300.000 livres tournois, impôt dans lequel les Rhodiens figuraient pour 37,857 livres. Le Receveur demanda un dégrèvement pour la commanderie de Condat, dévastée par les garnisons de Turenne, Bergerac, Sainte-Foy-la-Grande et Castillon ; pour la commanderie d'Argenteins, ravagée par les protestants de Nérac et de Casteljaloux ; pour celle de Caignac, ruinée par les hérétiques de Pamiers, Mazères et Saverdun ; pour celles de Golfech, de Renneville, de Caubins et Morlas, de Goûts, de Gabre et de Capoulet, qui avaient été aussi mises à sac par les garnisons des environs. Cette réclamation, dont la vérité fut affirmée par un grand nombre de témoins, fut accueillie favorablement et un jugement rendu le 16 mars 1588 par MM. les Trésoriers généraux de France déchargeait les commandeurs de ces circonscriptions de leurs parts dans cet impôt (29).
29. Pièces justificatives n° II.

Citons parmi les Grands-prieurs de Toulouse, Alexandre de Vendôme, fils d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrée, prince doué, comme son frère César, d'un esprit inquiet, de talents assez remarquables et d'une ambition qui fit son malheur; sa naissance et ses mérites l'avaient fait revêtir malgré sa jeunesse des premières dignités de l'Ordre. Il avait été nommé général des galères de la Religion et envoyé, en 1615, comme ambassadeur d'obédience auprès du pape Paul V. En 1619, il échangea le Grand-Prieuré de Toulouse contre celui de France, dignité qui lui permettait le séjour de la cour de son frère, qu'il croyait devoir être favorable à ses desseins ambitieux et qui devait emmener sa perte quelques années plus tard.

C'étaient du reste de riches et puissants seigneurs que ces Grand-Prieurs de Toulouse, appartenant tous aux principales familles du royaume, ils exerçaient leur juridiction sur une grande province et jouissaient d'énormes revenus. Petit à petit, le nombre des fiefs, qui, sous le nom de chambres prieurales, composaient leur domaine particulier, s'était augmenté et avait atteint des proportions si considérables que le Conseil de l'Ordre s'en préoccupa vers le milieu du X siècle et en détacha quelques commanderies.

Le Grand-Prieuré de Toulouse était possédé par le baron de Sade au moment de la révolution française dont le flot niveleur emporta cette institution avec un si grand nombre d'autres. Cet Ordre, français par son origine, tirant de la France son lustre et ses revenus, fut mortellement frappé par ce coup ; il sentait ses destinées liées à celles de la monarchie et de la noblesse française. Retirés sur leurs rochers de Malte, les chevaliers attendaient avec un sombre découragement leur fin qu'ils sentaient approcher. Elle ne se fit pas longtemps attendre. Quand en 1799, Bonaparte, en allant en Egypte, voulut s'emparer de Malte et porter le dernier coup à ce respectable vestige d'un passé héroïque, il y eut un simulacre de résistance contre cette inqualifiable tentative. Après en être sorties pour la forme, toutes ces épées rentrèrent dans le fourreau; tous ces fronts se courbèrent sous le coup qui les frappait avec une résignation qu'ils n'auraient point connue dans les siècles précédents.

Liste des Prieurs du Toulousain (1113-1313)
1106-1121. Gérard, diacre.
xxxx-1134. Bernard Hugo.
1145-1146. Forton.
1147-1148. Bernard de Puysiuran.
1154-1161. Bernard d'Azillan.
1162-1163. Pons de Lordat.
1163-1165. Guiraud de Corneillan.
1166-1168. Raymond Petit.
1168-1169. Foulques de Nesse.
1169-1170. Guiraud de Saint-André.
1170-1171. Raymond de Clavel.
1172-1173. Raymond de Verdun.
1174-1175. Pierre de Saint-André.
1177-1180. Pierre d'Alsen.
1181-1183. Pierre de Saint-André. (2e fois).
1184-1185. Raymond Garsie.
1185-1185. Pons de Lordat (2e fois).
1186-1188. Raymond Garsie. (2e fois).
1188-1191. Guillaume Raymond.
1193-1194. Sicred de Léran.
1194-1195. Aymeric (2e fois).
1195-1198. Pierre d'Hélie.
1198-1199. Guillaume Raymond (2e fois).
1199-1201. Sanche Garsie d'Aure.
1201-1202. Aymeric. (3e fois).
1202-1203. G. Raymond. (2e fois).
1204-1205. Sanche Garaie d'Aure (2e fois).
1206-1207. Bertrand de St-André.
1207-1209. Pierre Barravi.
1210-1211. Sanche Garsie d'Aure. (3e fois).
1212-1215- Bernard de Capoulège.
1215-1219- Guillaume l'Ecrivain.
1219-1225. Bertrand de Cobirac.
1227-1236. Sanche de l'Epée.
1238-1240. Pierre de Cavrane.
1240-1244. Guillaume de Barége.
1245-1246. Pierre de Cayrane (2e fois).
1247-1248. Jourdain de Saint-André.
1250. (Etablissement des Vices-Prieurs du Toulousain).
1250-1255. Guillaume L'Ecrivain, précepteur de Montpellier.
1256-1260. Pierre de Montbrun.
1260-1266. Bernard d'Aure, précepteur de Rayneville.
1267-1272. Pierre du Port, précepteur de Saint-Sulpice.
1272-1278. Albert de Roset, précepteur de Poucharamet.
1278-1280. Pierre de Corneillan, précepteur de Bolbone.
1280-1232. Guillaume Arnaldi, précepteur de Toulouse.
1282-1309. Pierre de Florence, précepteur de Toulouse.
1309-1310. Bernard de Maurin précepteur de Toulouse.
1310-1311. Aymeric de Tarin, précepteur de Toulouse.
1311-1313. Pierre de Caylus.
1313-1315. Guillaume de Rotbald.

Liste des Prieurs de l'Agenais et du Bordelais
xxxx-1155. Etienne Ayquilin.
xxxx-1202. Wilhelm de Montmaurcu.
1215-1220. Wilhelm Amanieu de Bouglon.
1220-1221. Hélie de Marinhac.
xxxx-1223. Hélie de la Rivière.
1225-1228. Pierre de Loupe.
1235-1236. Sans-Arcis.
1243-1251. Jourdain de St-André.
xxxx-1257. Arnaud de Botenac.
1265-1284. Ermengaud des Aguilhiers, vice-prieur.
1288-1289. Raymond Prévost.
1301-1306 Bertrand de Savinhac, vice-prieur.

Maîtres du Temple dans la baillie de Toulouse.
xxxx-1134. Gérard de Nocura.
xxxx-1148. Deus de Hugo.
xxxx-1150. Guillaume de Verdun.
xxxx-1162. Dieudonné de Girbert.
xxxx-1164. Durand.
1165-1167. Pierre d'Astugue.
1167-1179. Pierre de Toulouse.
1180-1183. Pierre Bérenger.
1184-1191. Raymond Oalric.
1192-1198. Guillaume de la Mothe.
1201-1204. Four ta nier d'Astiage.
1204-1205. Bermond.
1205-1208. Bertrand de la Salle.
1211-1212. Pierre de Castelnau.
1212-1213. Bermond (2e fois).
1213-1214. R. Guizoardou Chézoard.
1214-1215. Guillaume de la Roque.
1215-1218. Guillaume Catel.
1218-1219. Bertrand de la Roque.
1221-1224. Arnaud de Toulouse.
1225-1228. Raymond Focald.
1228-1229. Pierre de Dieu.
1229-1230. Hugues Carbonnel.
1230-1232. Rigald des Roches.
1233-1236. Martin de Nesse.
1237-1244. Guillaume de Bruguières.
1244-1245. Hugues de Marmande.
1245-1250. G. de Bruguières (2e fois).
En 1250 suppression de la maîtrise de Toulouse.

Maîtres du Temple dans la baillie d'Agen.
xxxx-11xx. Fort Sans de Vidalhac.
1155-1158. Augier de Bédeisan.
1159-1165. Hélie de Focald.
1163-1170. Pierre de Stugues.
1170-1175. Jourdain de Corbarrien.
1176-1180. Gaston de Castelmaurou.
1230-1236. Forlamer de Seados.
1235-1243. Armand-Raymond de la Mothe.
1245-1262. Guillaume-Ben, d'Aspet.
1253-1275. Arnaud d'Auron.
1276-1285. Pierre de Sombrun.
1286-1290. Cenebrun de Pins.
1290-1295. Bertrand de la Selve, Lieutenant du maître.
1298-1300. G. de Bernard, ibidem.
1305-1306. Ratier de Lemosin.

Maîtres du Temple dans la baillie de Périgord.
xxxx-1223. Hélie de la Barthe.
xxxx-1240. Raymond Ayz.
1275-1306. Géraud de Lavergne.

Maîtres du Temple dans la baillie du Bordelais.
xxxx-1170. Wilhelm Panet
xxxx-1264. Guy de Basemville.
xxxx-1269. Jean Le Français.

Liste des Grands-Prieurs de Toulouse.
1315-1332. Pierre de l'Ongle, chancelier de l'Ordre, grand-prieur de Saint-Gilles.
1332-1339. Aycart de Miramont.
1340-1346. Marquiot de Gozon (1e fois)
1346-1347. Esconte de Ryaterio, grand-prieur de Navarre.
1347-1360. Marquiot de Gozon (2e fois)
1360-1368. Raymond de Savin.
1371-1380. Gaucher de la Bastide-Rolland.
1380-1390. Pierre d'Hauterive.
1391-1395. Jean de Lautir.
1395-1411. Raymond de Leseure, grand commandeur.
1412-1427. Pierre du Titleuil, grand commandeur.
1427-1431. Galhot de Montet.
1432-1435. Hugues Ricard.
1436-1448. Bertrand d'Arpajon grand prieur de Saint-Gilles.
1448-1453. Bérenger de Gozon.
1453-1475. Pierre de Montlezun.
1475-1476. Pierre de Raffin.
1476-1484. Pierre de Ferrand.
1484-1489. Pons de Malavitulæ, grand commandeur.
1490-1512. Jean de Ranguis, grand commandeur.
1512-1520. François Flotte.
1520-1521. Jean de Johanis.
1521-1522. Gabriel de Murat de Lestang de Pomeyrols, grand commandeur.
1523-1536. Didier de Tholon de Saint-Jal, Grand-Maître en 1536.
1536-1544. Pierre de Grâce.
1544-1552. Foulques de Charitad.
1552-1555. Claude de Gruel de la Bourelh.
1555-1569. Pierre de Beaulac-Tresbons.
1570-1575. Balthazar des Comtes de Vintimille.
1575-1581. Mathurin de Lescur-Romegas, Prieur d'Irlande, général des Galères.
1581-1589. Antoine-Scipion de Joyeuse.
1591-1595. J.-Pierre de Montauban Viguedenar.
1595-1597. Jean de Soubiran Arifat.
1597-1610. Raymond de Gozon Melac.
1613-1619. Alexandre de Vendôme frère naturel de Louis XIII.
1620-1622. Jean de Mars Livière.
1622-1630. Joachim de Montaigut-Fromigières, Gouverneur de Metz et du pays Messin.
1630-1645. Georges de Castellane d'Aluys.
1646-1655. Henri de Merles-Beauchamp.
1656-1662. Denys de Polastron-la-Hillière.
1664-1668. Horace de Blacas d'Aups.
1668-1672. Antoine de Roubin-Granson.
1673-1688. François Paul de Béon-Masses-Cazaux.
1689-1701. Frédéric de Berre-Collongue.
1702-1708. Gaspard de Pontèves-Bargène.
1719-1731. Octave de Galléan.
1732-1734. René du Pré.
1735-1743. Charles d'Ayguières-Frignand.
1744-1746. Antoine de Robin Barbentane.
1747-1748. Charles de Roquefort Marquein, général des Galères.
1749-1756. Henri-Louis de Chalvet-Rochemontès.
1757-1767. François-Antoine d'Albertas, dauphin de St-Mayme.
1768-1772. Louis-Hippolyte de Varagne-Belesta-Gardouch.
1773-1786. René de Léaumont.
1788-1792. Richard Jérôme, baron de Sade.

Liste des Receveurs Généraux de l'Ordre dans le Grand-Prieure de Toulouse (1).
Trésoriers

1315-1330. Bernard de Gironde.
1330-1350. Jean des Affaires.
1351-1360. Pons de Raffaud.
1360-1375. Arnaud-Bern. Ebrard.
1377-1380. Bernard de Lypia.
1380-1388. Pierre de Salinier.
1400-1410. Arnaud de Vise.
1419-1420. Durand de Maljean.
1421-1438. Etienne de Raffin.
1440-1450. Arnaud de Piton.
1451-1452. Pierre du Puy.
1453-1464. Antoine de la Font.
1. Ces dignitaires jouaient un rôle important dans l'administration du Prieuré, jusques vers le milieu du XVe siècle, on les désignait sous le nom de Trésoriers.

Receveurs Généraux
1477-1490. Oddet de las Graulas.
1497-1502. Bertrand d'Esparvès de Lussan.
1511-1514. Bernard de Goulard.
1524-1530. Géraud de Massas.
1537-1545. Philippe du Broc.
1547-1548. P. de Beaulac Tresbons.
1558-1582. François de Poncet Massaguet.
1563-1566. Hugues de Loubens-Verdalle.
1569-1570. Etienne d'Arzac.
1570-1579. Jean de Maignant-Montégut.
1586-1583. A de Martin Puylobrier.
1600-1605. René de Chabaud-Tourette.
1614-1615. Pierre de Blancard Naites.
1618-1620. Georges de Castellane.
1626-1627. Denis de Polastron la Hillière.
1628-1638. Philippe-Emmanuel de Chabaud Tourette.
1640-1646. Melchior de Barras-Clamens.
1648-1650. Jacques de Pichon.
1653-1636. J. Paul de Béon-Masses-Cazaux.
1061-1663. J. Paul de Cardailhac d'Ouzon.
1664-1665. François des comtes de Vintimille.
1671-1673. L. d'Estuard de Besaure.
1678-1691. J. F de Robin Barbentane.
1696-1713. Claude de Seignoret de Fabrezan.
1730-1733. Octave de Galiéan.
1740-1750. Joseph de Chalvet Rochemontès.
1750-1775. J. Sébastien de Varagne Gardouch Bélesta.
1780-1789. J. Gabriel de Lordat.

CHAPITRE II. — Commanderie de Saint-Jean de Toulouse. Chambre prieurale (1)
I. — Toulouse.

A côté de l'église de Notre-Dame de la Dalbade s'élevait, dans les premières années du XIIe siècle, un hôpital. C'est là que nous trouvons établi tout d'abord un lieutenant du Prieur de Saint-Jean de Jérusalem, le lévite Gérard, qui, avec quelques autres religieux, prodiguait des soins aux pauvres malades et plus spécialement aux pèlerins. Depuis quand cette fondation existait-elle? C'est ce que nous ne pouvons préciser. Est-ce au comte Bertrand, est-ce à Amélius, évêque de Toulouse, que les Hospitaliers durent leur premier établissement dans notre ville? Aucun document ne vient éclaircir cette question. Grâce à la faveur dont ils jouissaient auprès de l'autorité épiscopale, ils s'étaient même emparés de l'église de la Dalbade, qui dépendait du prieuré de la Daurade. Les auteurs du Galha Christiana nous introduisent en 1110 dans le cloître de Saint-Sernin, où était réuni le Concile de Toulouse, et où, en présence des nombreux prélats et abbés qui le composaient, Gérard, serviteur et ministre de l'hôpital Saint-Jean de Toulouse, restitue, d'après les conseils de l'évêque Amélius, l'église de Sainte-Marie de la Dalbade à Radulphe, prieur de la Daurade, assisté de Pons, abbé de Cluny, et d'Asquillin, abbé de Moissac (2). 1. Nous nous conformerons dans cette étude à la disposition des différentes commanderies telle qu'elle existait en 1790.
2. Gallia Christiana, livre XIII.


Bientôt après, de nouvelles donations vinrent compenser pour l'hôpital Saint-Jean la perte que cette restitution leur avait fait éprouver. Plusieurs seigneurs du pays, Toset de Toulouse, dame Guilia, sa mère, dame Poncia, sa femme, Atlion d'Adhémar, Pierre Garcin d'Auterive, se réunirent pour donner l'église de Saint-Rémy, voisine de la Dalbade, et le dîmaire, qui en dépendait, à l'hôpital de Jérusalem, au lévite Gérard, qui en était le Prieur, et aux autres frères de l'Ordre. Cet acte n'est pas daté, comme il arrive trop souvent à cette époque ; mais il contient certaines indications qui vont nous permettre de suppléer à cette omission. Voici, en effet, la traduction de la fin de cette charte : « ... Ces choses furent données devant Amélius, évêque de Toulouse, Arnaud Raymundi, prévôt, Aycard, archidiacre, Arnaud Raymond de Bèdous... Donation faite du temps de Louis, roi des Français, de Guillaume de Poitiers, comte de Toulouse, de la comtesse Filippia, sa femme. Charte écrite la quatrième férié du mois de mai par Vitalis (3) »
3. Pièces justificatives n° III.

Or, nous savons que Guillaume IX d'Aquitaine, comte de Poitiers, se fondant sur les prétendus droits que sa femme tenait de son père Guillaume IY, ancien comte de Toulouse, sur des états que ce dernier avait vendu à son frère Raymond, de Saint-Gilles en dépouilla le jeune Alphonse Jourdain, qui se retira en Provence en 1114 ; et qu'il resta paisible possesseur de son usurpation jusqu'en 1119, époque à laquelle les Toulousains se soulevèrent et rappelèrent le jeune comte (4). La date de l'acte que nous étudions se trouve donc comprise entre les années 1114 et 1119. Deux circonstances du reste nous permettent de la renfermer entre des limites moins éloignées. Nous voyons, en effet, en premier lieu, que parmi les témoins de cette donation figure le prévôt Arnaud Raymundi. Or, le nécrologe de Saint-Etienne nous apprend que ce dernier décéda le 12e jour des calendes de mai (12 avril 1118). La donation, ayant eu lieu dans le courant du mois de mai, n'a pu donc être faite ayant l'année 1117. D'un autre côté, nous savons que la comtesse Philippia s'était retirée selon toute apparence, en 1116 (5), au couvent de Lespinasse, qu'elle avait fondé près de Toulouse et où elle avait établi une succursale de Fontevrault. Son nom se trouvant placé à côté de celui de son mari sur cet acte, elle ne devait pas encore avoir dit adieu au monde. Nous pouvons donc en conclure que la donation de l'église Saint-Rémy à l'hôpital Saint-Jean eut lieu entre les années 1114 et 1116.
4. Dom Vaissette, livre XVI.
5. Dom Vaissette, livre XVI.


Amélius, évêque de Toulouse, que nous venons de voir présider à cette donation et que quelques auteurs croient parent de Raymond du Puy, premier Grand-Maître de l'Ordre, favorisait le nouvel établissement de tout son pouvoir et ne contribua pas peu à l'immense accroissement des possessions des Hospitaliers dans son diocèse. Le treizième jour des calendes d'octobre (19 septembre) de l'année 1121, il accorda à Gérard, lévite, prieur de l'hôpital de Jérusalem de la contrée et aux autres frères de la maison de Saint-Rémy, Bernard de Puysicuran, Raymond Humbert, Pierre d'Anduze, Pons de Montlaur, la faculté d'acquérir des fidèles de son diocèse tous les biens tant ecclésiastiques que séculiers qui leur sembleraient utiles à la prospérité du nouvel établissement ; il exempta de plus, sauf dans quelques cas particuliers, tous les hommes habitant sur Tes terres de l'Ordre des interdits épiscopaux ; il établit une communauté très intime d'intérêts et de prières entre son clergé et les Hospitaliers. De son côté, Gérard donnait à l'évêque et à son Eglise le meilleur homme dans chacune des Salvetat de l'Ordre dans le diocèse et sur celle de Leguevin une rente annuelle de 7 sols, payables à la Saint-Thomas. Dans cet acte, le Prieur de Toulouse agit au nom de Gérard, l'ancien Prieur de Jérusalem, qui avait terminé à cette époque sa sainte et utile existence, de Roger qui lui avait succédé, et de Pierre, Prieur de Barcelone. Preuve naïve et touchante de la vénération et de la reconnaissance inspirée à tous, que la pensée d'évoquer dans cette charte le souvenir du saint homme qui venait de mourir et dont la pensée était censée revivre après lui dans les actes des continuateurs de son œuvre. Constatons enfin l'existence de Roger, le successeur de Gérard, dont la plupart des auteurs qui ont écrit l'histoire de Malte ont négligé de faire mention ; malgré le peu de renseignements que nous pouvons avoir sur ce Roger, l'œuvre qu'il contribua à consolider a trop d'importance pour qu'il ne mérite pas d'être inscrit sur la liste de ceux qui gouvernèrent l'Ordre de Saint-Jean pendant tout le cours de sa longue existence (6).
6. Pièces justificatives n° IV.

Dans la longue série des donations faites à la maison de l'Hôpital de Toulouse, nous pouvons constater que la population tout entière l'entourait de sa bienveillance. Parmi les bienfaiteurs de l'Ordre à Toulouse, nous trouvons, à côté de personnages les plus illustres et les plus puissants, de pauvres artisans qui venaient apporter leur modeste offrande pour coopérer à l'œuvre dans ce temps-là, si universellement populaire, delà défense de la foi. Dans l'impossibilité d'énumérer toutes ces donations, nous nous bornerons à signaler les plus importantes.

En 1146, nous voyons Alphonse Jourdain, comte de Toulouse, donner à l'hôpital Saint-Rémy et à Forton hospitalier, une lande déserte de Blagnac qui servait de résidence à un ermite du nom de Bernard ; ce dernier accompagna cette donation à l'Ordre, de celle de sa propre personne (7).
7. Pièces justificatives n° V.

Enregistrons les donations que firent simultanément deux chevaliers issus des races les plus illustres du Midi, Pons de Villeneuve et Arnaud de Boville ; sans doute deux de ces amis comme le moyen-âge en produisait souvent, liés par des serments solennels, inséparables dans la bonne comme dans la mauvaise fortune et qu'on désignait alors sous la poétique appellation de frères d'armes. Le même acte contient la cession de leurs biens à l'hôpital et c'est en même temps que le Prieur Bernard d'Azillain les reçut et leur accorda, selon la formule consacrée l'eau, le pain et l'humble habit de l'ordre (8).
8. Archives Toulouse, L. II.

Les comtes de Toulouse continuèrent à marquer leur bienveillance à l'Hôpital par de nouveaux bienfaits. C'est ainsi que nous voyons en 1175 Raymond V donner à Pierre de Saint-André, Prieur, et à tous les habitants de l'hôpital Saint-Jean la faculté de faire bâtir un four dans leur fief, sans exiger aucune redevance de leur part, cet acte fut passé en présence de Pierre de Toulouse, ministre de la milice du Temple, de Guillaume Silanus, viguier (9) ; d'Ispaniol, sous-viguier, de Bernard Gavaldan, Pierre de Tréville, Pons du Verger, Arnaud de Cabanes, Bernard de Puysiuran, hospitaliers (10). Deux ans après, Raymond V accordait, comme nouvelle faveur à l'Ordre, le droit de pâturage pour leurs troupeaux dans toute l'étendue de ses domaines, exemptait les Hospitaliers de tout droit de péage et de leude dans ses états et autorisait toutes les acquisitions qu'ils pourraient faire à l'avenir (11). Pour terminer la liste des témoignages de bienveillance donnés par ce comte à l'ordre de Saint-Jean, citons l'acte par lequel il exempta Raymond Garin, prieur de Toulouse, de toutes les redevances qu'il lui devait pour le dîmage de Saint-Rémy, « à la condition de faire brûler un cierge d'une livre devant l'autel de leur chapelle la veille de la fête de Saint-Rémy et d'y faire chanter la messe de la Sainte-Trinité pour que Dieu, la Vierge-Marie et les saints protègent le seigneur Comte de tous maux, lui donnent la victoire sur ses ennemis et la vie éternelle (septembre 1184) (12) »
9. G. Silanus ne figure pas sur les listes des viguiers de Toulouse qui ont été publiées jusqu'ici.
10. Pièces justificatives n° VI.
11. Pièces justificatives n° VII.
12. Pièces justificatives n° VIII.


Toutes ces donations successives avaient accru considérablement les possessions primitives de l'Ordre à Toulouse. Elles comprenaient outre le moulon de Saint-Rémy qui s'étendait de la rue de ce nom jusqu'à la Garonne, de nombreux fiefs au-delà de la Porte-Narbonnaise, au Pech-David, au Faletrar. Comme nous le verrons dans la suite, de nombreuses dépendances situées dans la campagne environnante étaient venues accroître l'importance de la maison de l'Hôpital de Toulouse : Saint-Léotaire, Saint-Pierre-de-Salinières, Estaquebiau, la Devèze, Pibrac, Cornebarrieu, etc.

Avant de poursuivre plus loin cette étude qu'on me permette de jeter un coup d'œil rapide sur les actes les plus importants relatifs à cette période que les archives nous on conservés à côté des donations et des ventes. Nous signalerons tout d'abord une discussion qui s'éleva entre les Hospitaliers et les Templiers dont l'établissement s'élevait dans le voisinage immédiat de l'hôpital Saint-Jean, et qui fut terminée par une transaction conclue à l'amiable (vers 1150), entre Bernard d'Azillan, prieur de Saint-Rémy et Guillaume de Verdun, maître du Temple de Toulouse (13).
13. Archives de Toulouse, L. XLII.

Par reconnaissance pour les services signalés que la Religion avait reçus de l'Ordre depuis sa fondation, les papes lui avaient concédé successivement un grand nombre de privilèges ecclésiastiques, qui lui donnaient une position presque indépendante de la juridiction épiscopale. Ces faveurs toutes particulières ne tardèrent pas à inspirer des prétentions exagérées aux Hospitaliers et de l'ombrage aux Evêques et au clergé qui ne voyaient pas sans déplaisir cette puissance à demi ecclésiastique prendre un accroissement continuel, malgré leurs réclamations. Aussi la lutte ne tarda-t-elle pas à éclater.

Malgré la décision du concile de 1110 et la restitution que les Hospitaliers avaient faite alors de l'église de la Dalbade au prieur de la Daurade, et grâce sans doute à la protection de l'Evêque Amelius, il paraît que les frères de Saint-Jean avaient renouvelé leur tentative d'usurpation. Mais, après la mort de ce prélat, Guillaume prieur de la Daurade, s'adressa à son successeur, Raymond II de Lautrec, pour obtenir la fin de cet abus. Différentes tentatives furent faites dans ce but, puisque nous voyons Guiscard d'Aymeric, prieur de Saint-Gilles, ratifier en 1140 une transaction conclue à ce sujet entre le prieur de la Daurade et frère Bernard, recteur de Saint-Rémy (14). Mais il ne parait pas que cet arrangement ait eu un résultat définitif et les choses restèrent quelque temps encore dans le même état, lorsque le prieur Guillaume, voyant que l'Evêque n'était pas assez puissant pour lui faire rendre justice, porta directement ses plaintes aux pieds du pape Adrien IV. Celui-ci remit l'affaire à l'arbitrage de l'Evêque de Toulouse et de l'abbé de Saint-Sernin ; ces derniers rendirent, le 13 septembre 1158, leur sentence, d'après laquelle le prieur de Saint-Rémy dût remettre l'église contestée entre les mains de celui de la Daurade, en faisant quelques réserves en faveur des Hospitaliers. Les deux parties acceptèrent ce concordat et promirent de le faire approuver par leur supérieur et par le Pape.
14. Gallia Christiana, tome XIV ; preuves.

Deux ans après (1er avril 1160) l'Evêque Raymond II, à la prière du pape Alexandre III et de Guiscard, prieur de Saint-Gilles, accorda au prieur de Saint-Rémy la permission d'avoir près de son église un cimetière destiné à la sépulture de tous ceux qui seraient vraiment frères de l'Ordre et porteraient la croix sur leurs vêtements, ainsi que de leurs écuyers et leurs serviteurs, mais il était défendu d'y enterrer des fidèles des quatre paroisses de la ville, savoir : Saint-Etienne, Notre-Dame-de-la-Daurade, Saint-Sernin et Saint-Pierre-des-Cuisines (15).
15. Gallia Christiana, tome XIV ; preuves.

La famille des Villeneuve avait parait-il, certains droits sur la portion de la ville où se trouvait l'hôpital de Saint-Jean. Nous voyons en effet en 1165 Adalbert de Villeneuve, sénéchal de Toulouse, appelé à mettre fin à une discussion survenue entre Guiraud de Corncillan, prieur de Saint-Rémy et Pons de Villeneuve qui contestait la validité de la donation de Toset de Toulouse, mais dont les prétentions furent écartées par le tribunal (16). Cette sentence mit fin à ces discussions et l'année suivante nous voyons le même Pons de Villeneuve et dame Mabriane sa femme, léguer par leur testament à l'hôpital un droit d'albergue pour 6 hommes et un sergent, qu'ils avaient sur le dîmaire de Saint-Rémy (17). Depuis cette époque les membres de cette noble maison ne cessèrent d'être les protecteurs de l'Ordre de Saint-Jean qui compte un de leurs descendants parmi ses plus illustres Grands-Maîtres.
16. Archives Toulouse, L. II.
17. Archives Toulouse, L. II.


Les différends entre les Hospitaliers et les Bénédictins de la Daurade, apaisés pour un temps par 1a sentence de 1158, ne tardèrent pas à se renouveler sous une autre forme. Le prieur de la Daurade se plaignit de l'ensevelissement de plusieurs de ses paroissiens de la Dalbade dans le cimetière de Saint-Jean. L'affaire fut portée devant l'Evêque de Toulouse, l'abbé de Saint-Sernin et le Prieur de Saint-Pierre-des-Cuisines, qui donnèrent raison au plaignant et l'autorisèrent même à faire exhumer ceux qui à l'avenir y seraient indûment ensevelis. Ce fut sans-doute pour se venger de cette sentence que le Prieur de Saint-Rémy, Pierre d'Alsen, fit comparaître devant ces mêmes arbitres quelques frères Hospitaliers et plusieurs autres témoins, qui affirmèrent sous la foi du serment que les nouveaux fondements de l'église de la Dalbade dont on venait de poser la première pierre, étaient creusés en partie dans le terrain de l'Hôpital (18). C'était une sorte de pierre d'attente pour toutes les discussions qui pourraient surgir dans la suite entre les deux puissances rivales.
18. Archives Toulouse, L. XLII.

Nous voici arrivés aux portes du XIIIe siècle, qui devait être pour notre pays une ère de calamités et qui, après de longues et cruelles luttes, devait voir tomber le comté de Toulouse, et cette puissante autonomie absorbée à son tour dans cette immense unité française que la royauté était en train de constituer. Quand, vaincu à la bataille de Muret, Raymond VI fut obligé d'abandonner pour un temps ses états qu'il ne pouvait plus défendre et de se retirer à l'étranger, Toulouse, devenue la proie des vainqueurs, fut traitée, malgré les promesses de Simon de Montfort, en ville conquise et eut à passer de longs et cruels moments pendant lesquels, livrée sans ressources au pillage et aux désordres de toutes sortes, elle devait sentir vivement et son malheur actuel et sa splendeur passée. Les archives du Prieuré, quoique presque muettes sur ces quatre années de la domination étrangère, (1213-1217), nous en racontent pourtant quelques épisodes qui nous disent les désolations que Toulouse eut à subir alors. Nous trouvons, par exemple, un acte qui nous apprend que le troisième samedi de février de l'année 1217, une troupe de gens armés, commandés par Bernard-Raymond Affre, Pierre de Saint-Martin et Arnaud Aldebert, pénétra dans l'église Saint-Rémy et surprit les frères qui ne purent s'opposer à son entreprise audacieuse. Après avoir forcé les portes, les assaillants se précipitèrent dans la sacristie, où étaient renfermées les archives, but de leur expédition ; là, sans être arrêtés par les protestations d'Arnaud de Cabanes, précepteur de l'hôpital et des autres frères qui invoquaient la protection de Dieu, de la Vierge Marie, de la sainte Eglise, du seigneur Comte et des Capitouls, ils enfoncèrent les portes des coffres où étaient entassées toutes les chartes de l'établissement, et, après en avoir enlevé le testament de Pons de Saint-Martin qu'ils devaient avoir intérêt à faire disparaître, ils se retirèrent avec leur prise. Cette agression est attestée par les frères et par plusieurs autres témoins oculaires (19).
19. Archives Toulouse, L. II

Voici un second témoignage, assez bizarre, des troubles du temps que nous rencontrons dans les archives. La rédaction d'un acte de 1213 avait été confié à un certain Bernard de Puysiuran, mais ce dernier, qui s'était compromis en faveur de Simon de Montfort, surpris par la rentrée du comte Raymond dans sa fidèle capitale en 1217, ne s'y crut pas en sûreté et prit le parti de s'enfuir, sans prendre le temps d'achever la phrase qu'il avait commencé à écrire (on voit que la fin en a été tracée par une autre main et avec une encre différente). Il fut déclaré par les Capitouls (20) ennemi du comte Raymond et de toute la ville de Toulouse et remplacé pour la rédaction de la fin de l'acte par un notaire de la cité, Guillaume de Saint-Pierre (21).
20. Ce document est encore précieux en ce qu'il nous donne les noms des dix-huit Capitouls de la ville et du faubourg pour l'année 1218, liste qui manque dans nos annales capitulaires, malgré les services que ces magistrats rendirent à leurs concitoyens ; ce sont : Pons de Castelnau, Arnaud de Villeneuve fils de Jourdain, Oldric de Gameville, Pierre de Roaix, Bernard-Raymond Borrens, Arn Guillaume Pilet, Etienne de Devèze, Pons de Morlas, maitre Bernard-Raymond d'Escalquens, Etienne de Courtesole, Raymond Bérenger, Embrin, Bernard-Raymond Aster, Bernard Signarii, Pierre-Guillaume de l'Ort, Hugues Jehan, Arnaud Mancip.
21. Archives Toulouse, L. II.


Nous avons déjà fait observer dans le chapitre précédent que les Hospitaliers se montrèrent pendant toute cette période sympathique à la cause des Toulousains. Nous voyons en effet le comte Raymond conserver avec les religieux de l'hôpital Saint-Rémy des relations non interrompues. C'est vers eux qu'il se tournait dans les moments difficiles ; c'est de leur entremise qu'il se servait pour tâcher par des donations de gagner la protection du ciel et de protester de la sincérité de sa foi. Le 20 septembre 1209, en partant pour Rome, où il allait porter ses protestations et ses plaintes contre l'acharnement de ses ennemis, il avait légué, dans le cas où il ne reverrait pas ses états, aux Hospitaliers et aux Templiers tout le blé et tout le vin qui auraient été recueillis cette année-là sur ses domaines, pour être distribués aux pauvres par leurs soins, il donnait de plus, comme gages de sa bienveillance, aux premiers son jeune cheval et aux seconds son armure et son destrier de bataille (22).
22. Dom Vaissette, Livre XXI.

En 1218, pendant le siège de sa capitale, sentant le besoin d'implorer le secours d'en haut, il fit, en présence de Bertrand comte de Comminges, de Dalmace de Creissel, de Roger-Bernard (de Foix), de Raymond de Recalde, un nouveau testament par lequel il laissait tous ses états à son fils Raymond et faisait aux Templiers et aux Hospitaliers de Toulouse des legs analogues à ceux du testament précédent (29 mai 1218) (23).
23. Pièces justificatives n° IX.

Le 5 juillet de la même année, devant la porte de l'église Saint-Jean, se présentait le vieux comte, entouré de ses plus fidèles vassaux, Dalmace de Creissel, P. de Recalde, Déodat d'Alaman, Aribert son chapelain : — « ... Touché à la vue des bienfaits que l'Ordre de l'Hôpital répand dans le sein des pauvres et tremblant à la pensée du dernier jugement ; Raymond se donne à Dieu, à la bienheureuse Marie sa mère, à saint Jean et à l'hôpital de Jérusalem, donation qu'il ne fait que renouveler l'ayant déjà faite depuis longtemps, est-il dit dans l'acte ; il demande à Arnaud de Cabanes précepteur de la maison de Toulouse, de le recevoir pour frère et de lui promettre une sépulture parmi eux après sa mort. Malgré l'excommunication lancée contre ce malheureux prince, le frère de Cabanes n'hésita pas à lui octroyer ses demandes, au nom de Bertrand, prieur de Saint-Gilles et le rendit participant de tous les biens spirituels et temporels de l'Ordre en-deçà et au-delà des mers » (24).
24. Pièces justificatives n° X.

Quelques années après, en 1222, quand Raymond VI eût enfin vu des jours plus tranquilles et que, retiré dans sa capitale, il cherchait à lui faire oublier par son gouvernement paternel les maux de la guerre, une maladie subite vint le saisir, ne lui laissant pas même l'usage de la parole pour se réconcilier avec l'Eglise qui l'avait expulsé de son sein. Toutefois les Hospitaliers accoururent autour du lit d'agonie de celui qu'ils considéraient comme frère de leur Ordre ; ils le recouvrirent de l'humble habit de l'hôpital, comme pour le défendre de l'accusation d'hérésie portée contre lui ; et il expira en baisant avec ferveur la croix blanche cousue sur son manteau d'Hospitalier. Ils emportèrent son corps dans leur hôpital de Saint-Rémy, suivant le vœu qu'il avait exprimé. Après que tous les efforts faits par Raymond VII pour obtenir à son père les honneurs de la sépulture ecclésiastique eurent échoué, les chevaliers de Saint-Jean n'oublièrent pas la bienveillance que ce prince leur avait toujours témoignée pendant sa vie, et donnèrent au milieu d'eux un asile à ces restes qui ne devaient pas reposer dans la terre bénite d'un cimetière.

Son fils Raymond VII continua la tradition paternelle à l'égard de l'Ordre de Saint-Jean. Après avoir confirmé en 1222 à Emmanuel, Grand-Prieur de Saint-Gilles les privilèges accordés aux Hospitaliers par ses ancêtres (25), il fit octroyer par Bringuier de Prinilhac, viguier de Toulouse, au prieur Guillaume de Barèges et à frère Jacob, précepteur de l'hôpital Saint-Rémy, l'autorisation de démolir leur four, pour le reconstruire dans quelque endroit de leur fief qui leur serait plus favorable. Cette charte fut concédée le 8 mai 1243, au château Narbonnais, dans l'église Saint-Michel, en présence de Bertrand, frère du comte Raymond, Sicard d'Alaman, Pierre de Toulouse, Arnaud d'Escalquens, etc. (26).
25. Pièces justificatives, n° XI.
26. Archives Toulouse, L. IX.


Quoique moins fréquentes que dans le siècle précédent, des donations importantes venaient encore de temps à autre augmenter l'importance de l'hôpital Saint-Jean de Toulouse. Nous nous contenterons de mentionner les suivantes : En 1240, Bertrand de Comminges, mari de dame Blanche d'Hunault de Lautar, demande par son testament à être enterré parmi les Hospitaliers de Toulouse et leur lègue son cheval de bataille, l'armure de son corps et de son cheval, tant en fer qu'autrement, comme il convient à un chevalier d'être armé pour être employé outremer au service de Jésus-Christ (27).
27. Dom Vaissette, livre XXV.

Quelques années plus tard nous voyons Mancip de Toulouse et Pierre de Toulouse son frère, Bernard de la Tour de Laurac, Raymond Barravi, Odon de Noé et plusieurs autres seigneurs faire cession à Pierre de Cayrane, prieur, à Bertrand de Fraxine, précepteur de Toulouse, d'un établissement de bains, situé au port de la Dalbade et allant de la route hors des murs de la ville jusqu'à la Garonne (1246) (28).
28. Archives Toulouse, L. III.

Mais la donation la plus importante est celle que Gui de las Tours, chevalier, et dame Mabriane, sa femme, fille de Guillaume de Gameville, firent, le 8 janvier 1261, à Dieu, à l'hôpital, à Pierre de Montbrun, vice-prieur de Toulouse, de leurs corps, de leurs âmes, de tous les biens qu'ils possédaient dans la ville ou les environs, à Cugnaux, à Léguevin, à Pibrac, de leur forteresse de Gameville, de leur fief de Saint-Etienne de Verfeil, avec leurs hommes, leurs femmes et tous les droits qui y étaient attachés (29).
29. Archives Toulouse, L. III.

Un procès survenu en 1301, entre le précepteur et la chapitre de Saint-Etienne au sujet de la procession de la Fête-Dieu, nous apprend, entre autres détails, que le curé de la Dalbade et son clergé devaient marcher sous la croix et l'étole du recteur de Saint-Jean, dans les actions publiques et notamment dans les processions du patron de l'Ordre et du Corpus Dei et que l'église de Saint-Jean était considérée alors comme la principale de la paroisse et comme la cinquième de la ville, à cause, soit de son ancienneté, soit de sa dignité prieurale (30).
30. Archives Toulouse, L. XLVI.

Tel était l'état prospère de la maison de Toulouse lorsque la chute de l'ordre du Temple et l'érection du Grand-Prieuré de Toulouse vint en accroître si notablement l'importance. Le château-fort qui s'élevait auprès de l'église de Saint-Rémy devint la résidence des Grands-Prieurs quand ils étaient sur le continent, et les dépendances de l'hôpital de Toulouse, augmentées de celles du Temple de cette ville, formèrent leur apanage primitif. La chambre prieurale de Toulouse se composa donc dans le principe de ce que les deux Ordres possédaient dans la ville ou dans les environs, à Cugnaux, Larramet, Léguevin, Pibrac, Larmont, La Devèze, Pompertuzat, Verfeil, Fonsorbes, etc. Dans la suite plusieurs modifications, que nous aurons l'occasion de signaler, dans le courant de cette étude, furent apportées dans l'étendue de cette circonscription de l'ordre.

En poursuivant l'étude des archives de la maison de Saint-Jean de Toulouse, nous rencontrons le récit d'un épisode assez singulier des troubles qui agitaient l'Europe et surtout la France au commencement du XVe siècle. Un grand personnage de la ville, Etienne de Montigny (31), avait, parait-il, des griefs personnels contre l'Ordre de Saint-Jean et, comme tant d'autres, profita de l'absence complète d'autorité où la guerre et la démence du roi Charles VI avaient réduit le royaume à cette époque, pour se livrer à son ressentiment. Sans tenir compte des anciens privilèges qui exemptaient les religieux de Saint-Jean de se rendre aux cérémonies publiques, il envoya, au mois d'août 1408, son commissaire, maître Bernard Jehan, au Prieuré, intimé au recteur frère Gérart, et à tout le couvent l'ordre de se rendre en procession, croix en tête, à l'église Saint-Etienne, pour y ouïr la publication des lettres royaux de Charles VI au sujet de la neutralité (32).
31. Nous n'avons pu découvrir de quelles fonctions il était revêtu ; il n'en est pas fait mention dans les archives et son nom ne figure dans aucune annale de l'époque.
32. Par Pacte de neutralité Charles VI déclarait qu'on n'obéirait en France ni au Pape de Rome, ni à celui d'Avignon (mai 1408).


Le recteur, après avoir exposé ses privilèges, répondit qu'il en référerait au chapitre des Frères de la maison. Mais sans attendre leur réponse, le vendredi suivant, maître Bernard Jehan revint à la charge, accompagné cette fois d'une douzaine de sergents, pénétra dans la maison, fondit sur le recteur qu'il aperçut dans le cloître, ouquel a cymetière et lieu de franchise et immunité, mist la main à luy injurieusement et s'efforça de le mener en prison et extraire de la maison. Effrayés de cette première attaque et n'ayant aucun secours à implorer, les Hospitaliers se rendirent auprès de leur ennemi et tachèrent de l'apaiser en promettant de se rendre à Saint-Etienne suivant ses ordres, ce qu'ils exécutèrent en effet ponctuellement. Mais cette soumission ne faisait pas le compte de Montigny qui ne trouvait pas sa victoire assez grande, ni l'humiliation des Hospitaliers suffisante ; sans chercher d'autres prétextes, il organisa une nouvelle expédition contre eux. Par son ordre, le lundi après la Toussaint, le sous-viguier de Toulouse revint au Prieuré avec plusieurs sergents, ils trouvèrent le recteur debout sur la porte de son église. N'osant se rendre coupables d'un nouveau sacrilège en exerçant leurs violences dans l'enceinte sacrée, — « ils y entrèrent comme s'ils voulsissent Dieu prier, et quant ils furent dedans icelle esglise vindrent par derrière le directeur et par force le boutèrent hors de la dicte esglise, lui firent plusieurs griefs et oppressions et s'efforcèrent de le mener en prison... » Pendant ce temps, Etienne de Montigny, à la tête d'une autre troupe de sergents avait envahi le couvent par un autre côté, il y fit arrêter tous ceux qu'il y trouva, trois frères et cinq serviteurs ou donnats ; il fit conduire ces religieux enchaînés entre deux files de sergents, depuis le Prieuré de Saint-Jean jusqu'au lieu « de la salle Neuve (au Palais de Justice), où il y a grant distance et les fist emprisonner en dures et obscures prisons, ès quelles on a accoustumé metre les accusés des caz criminelz. » Ils y restèrent détenus pendant 31 jours ; durant tout le temps de leur captivité, Montigny avait placé 18 sergents en garnison au Prieuré qu'ils traitèrent tout à fait en pays conquis, enfonçant les coffres des frères et pillant tout ce qui leur tombait sous la main, l'or, l'argent et jusqu'aux vases sacrés. Le procès-verbal de cette agression fait remarquer que, pendant l'emprisonnement des Hospitaliers, « ou grant vitupère de Dieu furent les portes de la dicte esglise tenues fermées telement que personne ne y ala cependant faire oraison ne offrande, jà soit ce qu'il y ait grant pèlerinage en l'onneur de monseigneur Saint-Jehan... » Après quoi Montigny fit « apeler à ban et bannir du royaulme... » Le recteur et quatre autres religieux, sans aucune accusation pour motiver cette sentence, et exigea que le trésorier payât comme rançon du Prieuré 30 écus aux sergents qui l'occupaient.

A la nouvelle de ces actes inqualifiables, le Grand-Prieur, Raymond de Lescure, réclama hautement justice et satisfaction « pour le grand esclande et lésion de justice et injures de la religion. » Il obtint des lettres de Charles VI (9 mai 1409), qui enjoignait aux sénéchaux de Toulouse et de Carcassonne, au viguier de Toulouse et à leurs lieutenants d'instruire secrètement cette affaire et de sommer ensuite « à haulte voix et à son de trompe Etienne de Montigny et ses complices à comparaître devant le présent parlement et qu'il leur soit faict un bon et brief accomplissement de justice (33) »
33. Archives Toulouse, Documents généraux.

Ce fut dans cette maison de Saint-Jean que le Grand-Prieur Bertrand d'Arpajon offrit, en 1440, l'hospitalité à son compatriote Jean, vicomte de Lomagne, capitaine général pour le roi en Languedoc et en Aquitaine ; ce fut aussi dans la salle d'honneur (34), située au centre du donjon des Hospitaliers, que ce seigneur convoqua le 12 avril de cette année, Bertrand de Nogaret, juge-mage de Toulouse, Etienne Nogaret, viguier, Guillaume de Flambard, sous-viguier, pour leur communiquer les lettres patentes par lesquelles Charles VII destituait de sa dignité de sénéchal Jacques de Chabanes, coupable d'avoir été l'un des chefs de la conspiration tramée contre lui par les princes du sang et le Dauphin lui-même, et nommait à sa place Galaubias de Panassac (35).
34. In camerâ paramenti quæ est in medio turris.
35. Dom Vaissette, livre, XXXIV.


Des deux buts de l'Ordre, l'hospitalité envers les pèlerins et la guerre contre les infidèles, le premier avait été complètement absorbé par le second. Si les Hospitaliers offraient encore leurs asiles aux pauvres malades, à défaut de pauvres pèlerins, c'était pour ne pas rompre complètement avec la tradition primitive ; mais leurs occupations guerrières leur laissaient peu de temps à consacrer aux soins de la charité chrétienne. Aussi l'hôpital Saint-Jean de Toulouse était-il à cette époque tombé déjà depuis longtemps dans un presque complet délaissement et ne jouait-il qu'un fort petit rôle dans une ville où pullulaient les établissements de ce genre. Mais auprès de l'hôpital en décadence, nous pouvons signaler vers la fin du XVe siècle l'existence d'une nouvelle institution, établie depuis peu dans la maison prieurale de Toulouse. Dû à la générosité de quelques-uns des Grands-Prieurs, le collège de Saint-Jean, que nous voyons mentionné alors pour la première fois, devait fournir l'entretien et l'instruction pendant 6 années à 4 escholliers ou collégiats. Ces derniers étaient soumis au choix des Grands-Prieurs, qui décidaient de leur admission ou de leur exclusion (36).
36. Archives Toulouse. Registres.

Outre l'église prieurale de Saint-Jean, il existait encore, adossée à l'établissement des chevaliers, une petite chapelle ou plutôt un simple oratoire. Ce fut là que se passa, dans les dernières années du XVe siècle, un évènement étrange qui occupa pendant quelque temps l'opinion publique de Toulouse (37). Dans les premiers jours du mois de juillet 1497, le bruit se répandit dans la ville qu'un miracle s'opérait dans cette chapelle, que le Christ placé sur l'autel suait et pleurait comme s'il était animé. Aussitôt la foule d'accourir, avide de contempler ce prodige. Il semblait, en effet, que, des yeux de la sainte image s'échappassent d'abondantes larmes. A cette vue, la population est saisie d'un enthousiasme tout méridional et l'enquête rapporte qu'on entendait de tous côtés des femmes s'écrier en levant les bras au ciel : « Garatz ! garatz ! Que lo sanct crucifix semble que ploure !... Semble que clugne l'huel !... Senher Dieu !... Miséricorde ! Vos ques a la semblansa d'aquel ques laïsus ! (38). »
37. Les détails que je vais donner sont extraits d'un mémoire lu à l'Académie des sciences de Toulouse, par M. Belhomme, ancien archiviste du département.
38. Voyez ! Voyez le saint crucifix ! Il semble qu'il pleure ! Il semble qu'il cligne l'œil Seigneur Dieu ! Miséricorde, vous qui êtes à la ressemblance de celui qui est au ciel !


L'archevêque de Toulouse, Hector de Bourbon, averti du prodige, envoya pour le constater l'official, Antoine de Sabonière. L'enquête minutieuse faite par ce dernier amena la découverte de la cause naturelle du prétendu miracle. La chaleur du luminaire qui brûlait aux pieds de la croix avait fait fondre certaines substances résineuses qui avaient été employées dans la confection de la figure du Christ et qui en découlant sous formes de gouttes le long du corps avaient produit une illusion complète. Après avoir expliqué au peuple les causes de sa méprise, l'official, pour faire tomber la croyance à ce faux miracle, ordonna de couvrir le crucifix en question d'un voile et de fermer la chapelle jusqu'à nouvel ordre. Quelques jours après, devant l'attitude de la population qui, peu convaincue par les explications du phénomène, croyait au miracle et s'était fait ouvrir les portes de la chapelle, l'official fit transporter le crucifix derrière le chœur, dans l'église Saint-Etienne, et décréta la fermeture définitive de l'Oratoire, malgré les réclamations du recteur de Saint-Jean.

Pendant que le grand drame du siège de Rhodes se déroulait au-delà des mers, le Prieuré de Toulouse continuait sa tranquille existence troublée de temps à autres par quelques tentatives des employés du fisc municipal pour prélever des tailles sur les biens des Hospitaliers. C'est surtout du maintien des privilèges de l'Ordre que nous voyons le plus généralement occupés les trésoriers ou les chapelains chargés de l'administration en l'absence des chevaliers. C'est ainsi qu'en 1525, lorsque la procession de la Dalbade faite à l'occasion des prières publiques ordonnées pour la paix et pour le roi, se présenta pour passer dans la collégiale Saint-Jean, le recteur de cette église vint, au nom des privilèges de l'Ordre, en défendre l'entrée ; il fallut négocier sur place et ce ne fut que sur la promesse solennelle des paroissiens de ne plus recommencer et de respecter à l'avenir les exemptions accordées à cet établissement, que le recteur fit ouvrir les portes et consentit à ne pas s'opposer pour cette fois à la station demandée (39).
39. Archives Toulouse, L. XLII.

Une discussion analogue se produisit encore quelque temps après. La reconstruction de l'église de la Dalbade venait d'être terminée et sa consécration devait être faite par Messire Laurens Allemand, évêque de Grenoble et abbé de Saint-Sernin, en l'absence du Cardinal de Chastillon archevêque de Toulouse. Le jour de la cérémonie était fixé au 6 mai 1548. La veille, Maître Jean Daigua, avocat-général du roi et ouvrier (fabricien) de la Dalbade vingt requérir frère Dominique de Bigorre, recteur de Saint-Jean, d'autoriser l'évêque consécrateur à passer dans le terrain des Hospitaliers pour faire le tour extérieur de la nouvelle église, partie nécessaire de la cérémonie du lendemain. Le recteur ne céda qu'après de longs pourparlers et après avoir fait déclarer par acte public le maintien des exemptions de l'Ordre par rapport à la juridiction ecclésiastique (40).
40. Archives Toulouse, L. X.

Nous avons déjà constaté plus haut l'amoindrissement successif de l'Hôpital Saint-Jean de Toulouse ; au commencement du XVIe siècle, il cessa d'exister. Frappés de l'inconvénient que pourrait présenter le nombre de ces établissements charitables répandus dans les différents quartiers de la ville, les Capitouls obtinrent le 25 février 1524, un arrêt prescrivant la réunion à l'Hôtel-Dieu Saint-Jacques, de la plupart de ces hôpitaux. Parmi ces derniers, se trouvaient ceux du Temple et de Saint-Jean (41).
41. Catel.

D'après les statuts, les Grands-Prieurs devaient résider habituellement au siège de l'Ordre, où ils formaient le conseil du Grand-Maître. Mais comme tant d'autres, cette prescription était souvent méconnue, surtout depuis que la guerre contre les infidèles s'était ralentie. Ces dignitaires quittaient fréquemment le rocher de Malte pour venir faire de longs séjours sur le continent. Ceux de Toulouse ne tardèrent pas à s'apercevoir que leur sombre demeure, dominée par son fier donjon, avait trop l'air d'une citadelle. Cet aspect guerrier, dépourvu de toute ornementation, qui allait si bien pour l'habitation des rudes chevaliers du moyen-âge, n'avait plus alors sa raison d'être. Les chevaliers du XVIIe siècle trouvaient, sans doute, qu'ils étaient fort incommodément logés dans ces vastes salles voûtées, où le jour ne pénétrait qu'avec parcimonie ; ils se dirent qu'ils pourraient facilement se passer, et du cloître pour se livrer à leurs méditations pieuses, et de l'enceinte crénelée pour se défendre. Aussi les voyons-nous occupés sans relâche à détruire les anciens bâtiments pour élever à leur place un hôtel prieural bâti dans le goût de l'époque. Vers 1630, le Grand-Prieur, Georges de Castellane d'Aluys, avait dû commencer les restaurations de l'intérieur, et notamment de la chapelle, sur le portail de laquelle on pouvait voir naguère son écusson de gueules au château ouvert crénelé et sommé de trois tours d'or, maçonnées de sable. En 1668, un de ses successeurs, Antoine de Robin-Granson, avait fait démolir tout l'ancien bâtiment qui s'étendait entre l'église de la Dalbade et celle de Saint-Jean. A la place occupée par le vieil édifice, l'habile architecte J.-P. Rivalz fut chargé d'élever l'hôtel prieural qui existe encore et dont les formes simples et élégantes sont sans contredit un spécimen fort remarquable des constructions de cette époque. Mais cette entreprise ne fut pas menée à terme sans encombre. MM. les ouvriers de la, grande table de l'œuvre de la Dalbade soulevèrent plusieurs fois des difficultés sur des questions de mitoyenneté. Un arrêt du Grand-Conseil vint les trancher, en prescrivant, pour empêcher le renouvellement de contestations entre les deux parties, que « les ouvriers de la Dalbade seront tenus de donner chaque dimanche de l'année le pain bénit à l'église de Saint-Jean et que le prédicateur de la paroisse ira y prêcher le 21 décembre, jour de la fête du patron de l'Ordre (42). »
42. Archives Toulouse, L. XL.

Cette construction fut terminée en 1685, par les soins de François-Paul de Béon, qui avait succédé à Antoine de Robin. Ces deux prieurs avaient, du reste, généreusement contribué de leurs deniers à cette entreprise, ainsi que le constatent les rapports des commissaires nommés par les chapitres provinciaux pour vérifier les comptes du Prieuré (43).
43. Archives Toulouse. Registres.

En 1663, le Grand-Prieur de Granson s'ôtait occupé à réformer le régime intérieur de l'hôtel prieural, pendant qu'il en reconstruisait les bâtiments. Il traita avec les collegiats, à l'entretien desquels les Grands-Prieurs étaient obligés de pourvoir, et se déchargea de leur nourriture, moyennant une rente de 184 livres, 12 pagelles de bois et 200 fagots. Il se débarrassait ainsi « de deux domestiques, savoir : d'un sommelier et d'un cuisinier et d'une infinité de plaintes, tant pour le peu d'assiduité que les dicts officiers avaient à bien administrer la pitance, qu'à cause du vin qui la plupart du temps était tourné ou moysi, ce qui produisait bien du chagrin de part et d'autre (44) »
44. Archives de Toulouse ; registre de visite.

Dans la suite nous ne trouvons à noter que les discussions survenues entre les Collegiats de Saint-Jean et les Oratoriens de la Dalbade, au sujet de l'enterrement des chevaliers ; une transaction fut conclue entre eux ; on arrêta que, lorsqu'un membre de l'Ordre serait malade ou viendrait à mourir dans la maison de M. le Grand-Prieur, le curé de la Dalbade n'aurait rien à voir dans l'administration des sacrements, ni dans l'enterrement qui se ferait dans l'église Saint-Jean; tandis que, si l'Hospitalier venait à mourir hors de la maison prieurale, le clergé de la paroisse ferait la levée du corps, à laquelle assisteraient les prêtres Collegiats sans leurs étoles, le conduirait à la porte de l'église Saint-Jean, où les chapelains de l'Ordre chanteraient l'office et feraient le reste de l'enterrement (1692) (45).
45. Archives départementales ; Oratoriens.

Les Grands-Prieurs de Toulouse et les principaux chevaliers étaient ensevelis, quand ils mouraient sur le continent, dans la chapelle Saint-Jean. Lors de la démolition de cette dernière, on a transporté au Musée ces tombes et ces pierres sépulcrales. Nous citerons entre autres un tombeau du XIIIe siècle bien orné, et où l'écusson chevronné à 7 pièces n'a pas été suffisant pour nous indiquer le personnage à qui il fut destiné. On y voit aussi les pierres tombales de Charles de Roquefort-Marquein, général des galères de la religion et Grand-Prieur de Toulouse, et de Joseph de Chalvet, commandeur de Rayssac et receveur du Prieuré.

L'hôtel des Grands-Prieurs a été depuis transformé en un vaste entrepôt de draps. Sa grande tour carrée, dont nous avons eu plusieurs fois l'occasion de parler dans le courant de cette étude, sombre donjon à quatre étages, surmonté d'une double galerie de créneaux et d'un pinacle au-dessus duquel s'élevait une grande croix (46) fut démolie en 1813. L'église de Saint-Jean, partie la plus ancienne de cet établissement, eut le même sort en 1839. Les propriétaires de l'hôtel firent hommage au Musée de Toulouse de quelques portions remarquables de cet édifice, entre autres du tympan de son portail avec son chrisme élégant et son inscription du XIIe siècle.
46. Archives de Toulouse ; registre de visite.

En 1841, les chevaliers de Saint-Jean, qui existaient encore à Toulouse, ont obtenu l'autorisation de recueillir les restes de leurs devanciers, disséminés au milieu des ruines et des tombes fracassées. Ils les ont fait ensevelir dans une chapelle de l'église de la Dalbade. Un monument en marbre, placé au fond de la chapelle, porte l'inscription suivante composée par M. le marquis de Castellane, pour conserver le souvenir de cette translation.

D. O. M.
ÆTERNÆ MEMOIUÆ
EQUITUM SACRÆ DOMUS HOSPITALIS
SANCTE JOHANIS HIEROSOLYMITANI
PIETATE NECNON ET ARMIS ILLUSTIUUM
DEFCNCTORUM TOLOSÆ
EMERITOS, CHRISTIANE, VENERARE CINERES
INFELICITATE TEMPORUM SEPULCRO 0RBAT0S,
QUI DEMUM,
HING IN SANCTA ECCLESTA
DEIPARE VIRGINIS MARIÆ DEALBATÆ
RECEPTI
TUTISSIMUM INVENERE PRÆSIDIUM.
EQUITES QUI SUPERSUNT
ET EXTERNI CONSANGUINEI INVICEM,
SACRÆ HIEROSOLYMIANÆ SODALITATUS
MILITES
RURSUS CONDI ATQUE PONI CURAVERUNT,
PRÆSIDE ET SACRIS PERFUNCTO DD. P. TH. D'ASTROS.
ARCHIEPISCOPO ROLOSANO
ANNO DOMINI MDCCCXLI.

De nos jours l'ancien établissement des chevaliers a reçu une affectation plus en rapport avec sa destination primitive. Monseigneur le Cardinal Desprez l'a acheté pour y établir les cours des différentes facultés de l'Université Catholique de Toulouse et la résidence du recteur de cette dernière. Dans notre siècle, ce n'est plus seulement le Saint-Sépulcre que l'ennemi du Christ veut arracher à la chrétienté. C'est son existence même qu'il menace, c'est sa mission divine d'enseignement qu'il veut anéantir. Comme les Pontifes du moyen âge, nos Evêques se sont levés pour dénoncer le péril et prêcher cette nouvelle et formidable croisade. Ils sont bien les dignes successeurs des chevaliers, ceux qui ont déclaré la guerre sans trêve ni merci à la révolution doctrinaire et triomphante. Ils lui disputent pied à pied les âmes de nos enfants, dont on voudrait chasser Dieu pour les asservir ensuite sans obstacle.

Liste des Précepteurs de l'Hôpital Saint-Jean de Toulouse.
xxxx-1121. Bernard de Puysiuran.
xxxx-1140. Arnaud de Puysiuran.
xxxx-1160. Pierre de Gardouch.
xxxx-1166. Benoist.
xxxx-1167. Raymond de Nugol.
1174-1185. Bernard de Gavaldan.
1185-1186. Guillaume-Raymond.
1186-1194. Roger de Rivière.
1198-1207. Pons Chapelain.
1212-1215. Athon de Vacquiers.
1208-1219. Arnaud de Cabanes.
1219-1225. Arnaud de Bousiac.
1235-1227. Gérard de Saint-André.
1227-1243. Jacob.
1246-1248. Bertrand de Fraxines.
1248-1251. Raymond de Pailhes.
1251-1254. Jacob (2e fois).
1251-1256. Raymond Tolosan.
1256-1260. Pierre de Villemur.
1260-1561. Bernard de Gardoueh.
1261-1263. Bernard de Caminières.
1264-1267. Albert de Roset.
1267-1278. B. de Caminières, (2e fois).
1278-1280. Jean d'Astarac.
1280-1282. Guillaume Arnaidi.
1282-1389. Pierre de Florence.
1309-1310. Bernard de Maurin.
1310-1311. Aymericde Tarin.
1311-1313. Pierre de Caylus.
1313-1315. Bernard de Gironde.
Sources : Du Bourg, Antoine. Histoire du grand prieuré de Toulouse et des diverses possessions de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem dans le sud-ouest de la France. Toulouse 1883 - BNF

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