Département: Vienne, Arrondissement: Poitiers, Canton: Vouneuil-sous-Biard, Commune: Benassay - 86
Domus Hospitalis Lavausseau
En 1192, l'abbaye du Pin donne le fief de Rimbard à la commanderie de Lavausseau. La poésie est en tête de l'acte de donation. « Comme le temps voit commencer et finir les choses qui s'y passent, et comme elles restent peu dans notre mémoire, nous frère abbé du Pin et frère Jacques confrère de l'Hôpital de Jérusalem, cellérier et procureur de tous les biens de l'Hôpital situés dans l'évêché de Poitiers, avons jugé à propos de rédiger ici la convention faite entre nous.... pour la transmettre à la postérité. »
La suite de l'acte nomme notre commanderie : maison de l'Ordre Hospitalier de Jérusalem.
Un mémoire du XVIIIe siècle semble prouver que, par la suite, elle n'a cessé d'appartenir à cet Ordre.
Pour quelles raisons M. Beauchet-Filleau (correspondant du ministère de l'Instruction publique), M. de Longuemar et d'autres érudits ont-ils fait vivre les Templiers dans ses murs ?
Est-ce parce qu'à l'image des commanderies templières, elle a constitué une véritable petite forteresse avec murailles d'enceinte de 20 pieds soit 6,50 Mètres de haut, grand pont-levis, douves, échauguette, salle de corps de garde et souterrain en direction de l'est ?
Les Hospitaliers ont-ils dû se retrancher ici, à la façon des Templiers pour se défendre d'un certain capitaine de Grandes Compagnies dont le repaire était à 3 km de la commanderie, dans le château de Grassay ? Ce château, dont il ne reste qu'un refuge souterrain, fut détruit au début de la guerre de 100 ans. Une lettre du dauphin Charles ordonne, en effet, le 20 février 1358, « qu'il soit rabattu une somme de 1.200 florins sur le subside de guerre dû par la ville et archiprêtré de Saint-Maixent, attendu qu'ils avaient déjà payé la dite somme pour la destruction de châteaux-forts qui incommodaient le pays.... châteaux de La Liborlière à Painproux, Les Marais à Lezay et Grassay de Benassay. » Ce comté de Grassay revint en des mains plus honorables puisqu'en 1428, Charles VII le donna, pour 2.000 écus d'or, à Laurent de Vernon qui avait capturé le comte anglais de Commersat que le roi de France voulait échanger avec le comte d'Eu retenu prisonnier des Anglais.
Au pied de la commanderie, les tanneries lavaucéennes ont acquis réputation et prospérité grâce à la protection des moines-soldats.
En 1600, le village a 50 tanneries et des moulins à tan en nombre suffisant. En 1632, vingt tanneries sont exploitées par des tenanciers de la commanderie. L'aisance des maîtres tanneurs apparaît dans les sculptures des fenêtres et des cheminées. Un canal de 300 mètres de long, parallèle à la Boivre, a été creusé pour leur service, en amont du pont. Ce pont, restauré vers la fin du Moyen-Age, s'est vu confier, en ses piles, une bulle du pape Innocent IV (1243-1254).
Cependant l'abolition du Temple, en 1312, avait pesé lourd sur les Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. En héritant, par la grâce du pape Clément V, des commanderies templières vidées de leurs richesses par les soins de Philippe le Bel, les Hospitaliers se trouvèrent imposés de sommes énormes soi-disant engagées par le roi, dans sa lutte contre le Temple. Ils durent payer et repayer.
Lavausseau
Domus Hospitalis Lavausseau
Le commandeur occupe rarement la chambre qui est sienne (l'actuelle mairie). On le trouve résidant à Poitiers ou à Saint-Rémy-de-Verruye.
En 1666, il demeure aux Espaux-de-Meursac (Charente-Maritime), il se nomme François de Neuchèze, vice-amiral de France, commandeur des Espaux, Saint-Rémy et Lavausseau.
En 1668, nous avons François de Laval, commandeur de Saint-Rémy et Lavausseau, qui habite dans sa commanderie d'Artines, paroisse de Couture.
En 1704, notre commandeur a pour nom : frère François Marie des Bans de Mareuil et séjourne en l'île de Malte.
En 1690, la commanderie était affermée au sieur Bergier, pour 1.350 livres argent et 40 provandiers (33 quintaux environ) de seigle, avec réserve des vins, dîmes et terrages (droit de prélever du blé ou des légumes sur le produit des terres).
Entre temps, la Réforme a fait de nombreux adeptes en notre village.
Dès 1563, le Temple de Lavausseau est apparu, avec celui de Montreuil-Bonnin. Les deux sont renommés si l'on en croit les plaintes des chanoines de Saint-Hilaire de Poitiers, dans leurs remontrances au roi.
En 1568, la 3e guerre de religion est aux portes de notre commune. Le roi, Charles IX, a envoyé, sous les ordres du duc d'Anjou, une armée catholique qui se trouve face aux « 18.000 fantassins et 3.000 cavaliers réunis par l'amiral Coligny, sous les ordres du prince de Condé. Le 16 novembre, les deux armées campent dans les plaines de Jazeneuil.
Tout annonçait une bataille décisive ; mais la rigueur du froid ne leur permit pas d'en venir aux mains, et tout se passa en grosses escarmouches. La gelée était si âpre et si véhémente qu'un grand nombre de soldats périrent misérablement. Le duc d'Anjou alla s'enfermer dans Poitiers. Le prince de Condé alla s'emparer du château de Mirebeau ». (Joseph Guérinière : Histoire du Poitou). Mais un champ, près du Coudreau de Jazeneuil, à la limite de notre commune, conserva le nom de « champ de guerre. »
A la fin de cette guerre, se distingue le seigneur de la Noue, « Bras de fer », gouverneur de l'Aunis, grand-père de celui qui allait devenir, en son château de Montreuil-Bonnin, notre « Bayard protestant poitevin » En 1664, ce petit-fils du célèbre La Noue Bras de fer sera nommé, par Louis XIV, commissaire-adjoint en l'affaire de l'examen des contraventions aux édits de pacification en Poitou. Son nom a été proposé au roi par le commissaire catholique : Charles Colbert du Croissy. Ce frère du ministre Colbert présente son adjoint en ces termes : « Votre Majesté, ayant bien voulu me remettre le choix d'un adjoint de la Religion Prétendue Réformée, je l'ai rempli du sieur de la Noue, à la satisfaction des ecclésiastiques et de ceux de la R.P.R. »
La Noue est entourée de l'estime générale. Sa tolérance égale son esprit de justice. Mais ses efforts sont vains. Il meurt avant les dragonnades et la révocation de l'Edit de Nantes. Après sa mort, l'église protestante de Montreuil-Bonnin, ne pouvant plus subvenir à l'entretien de son pasteur, s'éteint sans persécution. Celle de Lavausseau, « quartier de Montreuil-Bonnin », disparaît de même aux environs de 1679.
La commanderie a vu « ses trésors brûlés et ravagés pendant et durant les malheurs des guerres civiles », écrira au roi, en 1632, le commandeur frère Jacques Bonnin la Reignouse.
En 1696, le cimetière protestant de Lavausseau est profané par les soins du commandeur, frère François Marie des Bans de Mareuil. Sur sa demande, Monseigneur de Maupéou lui permet « de faire enlever la moitié des pierres et tombes qui se trouvent dans le cimetière où l'on enterrait, autrefois, ceux de la religion prétendue réformée, qui est à présent inutile par la cessation d'exercice et révocation de l'Edit de Nantes, pour être employé à la réparation de la maison et chapelle de l'Ordre au lieu-dit Lavausseau. »
La tombe de Maître Jacques Ruffin, notaire, décédé à La Nougeraie, en octobre 1671, n'eut pas à souffrir de ce vandalisme. Ce protestant fut enterré en l'église paroissiale de Benassay, « après que, sur les marques de conversion (écrivit le curé de Benassay), il eut reçu de nous, l'absolution et le sacrement de l'extrême-onction et enfin eut été assisté à la mort par messieurs les curés de Sanxay et de Nesdes, entre les mains desquels je le laissay après avoir demeuré quatorze heures continuelles à l'exorter de temps en temps à bien mourir. »
Beaucoup de conversions furent moins spectaculaires que celle du notaire. La peur des dragons dut agir. M. Pouliot, dans une enquête de 1714, déclare : « Nous avons constaté une telle quantité d'abjurations à Lavausseaa, centre important de tanneries, que nous nous demandons si, dans cette partie de la France, l'émigration a été vraiment considérable dans le milieu de la petite industrie. »
Il y eut cependant au moins un émigré de Lavausseau, puisqu'un acte de 1718 fait état « d'une maison et jardin appelé Chasteaugaillard, située au village de Lavausseau, délaissée par Etienne Turquand, fugitif du royaume à cause de la religion prétendue réformée qu'il professait. »
De la Réforme, il ne nous reste qu'une inscription biblique sur une cheminée : « Aimons Dieu surtous et noustre prochain comme nous. »
Les protestants aisés exprimaient ainsi leur règle de vie, par quelque verset gravé sur la pierre.
Aisance et misère se sont succédé et souvent côtoyées.
De l'aisance, il nous reste les blasons des tanneurs, les sculptures de fenêtres et cheminées.
De la misère qui aigrit, nous parviennent des assignations semblables à celle du 4 juin 1776, adressée à M. le juge sénéchal de la châtellenie de Montreuil et Latillé, pour un vol d'ajoncs.
Le « suppliant » qui « espérait les garder pour le chauffage de son four à chaux » y demande que l'accusé soit « condamné en une somme de quinze livres et aux dépens. »
Estimer à 15 livres argent, une coupe d'ajoncs, est aujourd'hui impensable.
Quelle valeur possédait alors le simple bois de chauffage ?
Une Lavaucéenne octogénaire, Mme Mériot, raconte qu'au début de ce siècle, elle devait, avec son mari tâcheron, abattre et couper sept « cordes » de bois, pour gagner la septième en paiement. Plus de quinze jours de travail pour obtenir trois stères de bois !
Ici comme ailleurs, cela est dépassé.
Grâce au dynamisme de notre maire : M. Bonneau, de ses adjoints : l'ancien, M. Souchard, et les nouveaux, d'un jeune artisan tanneur : Emile Carbonnier, d'un actif commerçant en cuirs et peaux : Marc Auzanneau, et de bien d'autres, Lavausseau tient dignement sa place dans le concert des communes poitevines.
Pas plus qu'en 1731, elle ne saurait être oubliée dans le Noël Gaillard. En ce poème, la paille et le foin étaient les présents que nous devions apporter à l'enfant Jésus : « mais Sansais, Lavocea, Cursé et Prailles, chargés de foin et de paille, songeront aux animaux, nau, nau, nau. »
L'écologie divine interdisait, sans doute, l'offrande des peaux d'animaux tannées, à moins que le poète, malicieux, nous condamne à choyer l'âne et le bœuf, frères de ceux qui, à leur corps défendant, ont enrichi nos tanneurs et constituent encore ici, la source d'un important commerce.
L. Rousseau-Souchard. Aguiaine : revue de recherches ethnographiques, tome XIV, 2° livraison - n° 97, Mars-Avril 1980 - BNF
Retour